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La Cerdagne coupe la route du fuel
La noria des camions-citernes engorge la vallée. Aujourd'hui, le maire de Saillagouse interdit la traversée de son village

L'Andorre, ses montagnes, son air pur, ses paysages... Ou plutôt, l'Andorre, ses bijoux hors taxe, son pastis et son essence: hors de l'Europe, la Principauté est un havre où Espagnols et Français vont chercher un petit coin de paradis fiscal...

Seulement voilà: le tabac ne pousse pas en Andorre et le sous-sol pyrénéen n'a rien à voir avec l'Irak: il n'y a pas de pétrole, que des cailloux.

Voilà pourquoi chaque jour, une procession de camions-citernes andorrans s'échine entre les dépôts de Port-la-Nouvelle, dans l'Aude, et la principauté. Ils cahotent par la nationale 113, qui est à l'autoroute, ce qu'une perfusion est à un oléoduc. Evidemment, il y a de l'embolie dans l'air, dans les petits villages des Pyrénées, quotidiennement sillonnés par ces bombes roulantes: "Une absurdité complète", tempête Roland Hullo, président de l'association pour le contournement de Joncet, un hameau étriqué aux maisons raclées par les épaules trop balèzes des larges camions. On pense inévitablement au chameau et au chas de l'aiguille, gaz d'échappement en plus.

- Interdit aux Poids Lourds

"Alors, ça suffit, s'exclame Georges Armengol, maire et conseiller général de Saillagouse dans les Pyrénées-Orientales. Ce jeudi matin, à 10 heures 30, je vais faire poser des panneaux qui interdiront aux bombes roulantes de traverser la ville!"

Georges Armengol sait bien que c'est le panneau en terre contre la citerne de fer, que le préfet va retoquer sûrement son arrêté municipal, et que l'interdiction sera levée tôt ou tard. Mais il veut prendre date. Les pare-chocs frisent la cour de l'école, un bahut a défoncé récemment un hôtel de la ville, et "puisque la sécurité routière semble être le cheval de bataille du gouvernement, je prends des mesures."

Le maire propose une alternative. Il a, avec sa calculette, évalué les temps de transport, le prix de l'autoroute, les heures sup' des chauffeurs... "Passer par Carcassonne, puis Foix et Ax reviendrait à un centime de franc plus cher à la pompe!"

Le détour est copieux: dans les 80 bornes quand même...

Le tam-tam commence à faire son effet. En principe, le hameau de Joncet devrait enfin bénéficier d'une déviation: "Les habitants se sont mobilisés pour qu'on ne démolisse pas deux maisons, indique Jean-Louis Alvarez, conseiller général d'Olette. Mais plus globalement, il faut se mobiliser contre l'insuffisance notoire de cette route par rapport au trafic actuel."

A Port-la-Nouvelle, les dépôts de carburant sont ouverts dès 3 h 30 du matin. Pour permettre un chargement très matinal, et faire en sorte que les camions passent le plus tôt possible, avant le lever du jour. "Mais les camions chargent quand ils veulent" observe un responsable.

Le plus absurde, dans l'histoire, c'est que ce pétrole est destiné à ruisseler en France, de là où il vient! Ah, si on installait l'Andorre à Pinsaguel...

- 200 millions de litres par an

Georges Armengol, le maire de Saillagouse, estime que ce sont 20 à 25 camions qui passent quotidiennement dans son village. Vu de Toulouse et de son périphérique où passent chaque jour 100.000 véhicules, cela peut paraître peu de chose. Mais pour ces petites communes à la modeste voirie, l'impact est important.

Ce qui est certain, c'est que les importations d'essence en Andorre sont en hausse chaque année, et dépassent actuellement les 200 millions de litres!

Certes, la majeure partie de ces hydrocarbures transitent par l'Espagne.

Mais il faut alimenter les pompes des deux côtés de la frontière.

Pour les automobilistes d'un vaste bassin allant jusqu'à Toulouse, il est plus que tentant d'aller faire le plein en Andorre où les carburants sont en moyenne moins chers de 25 % . Et avec les hausses...

- Des élus mobilisés pour que la route s'améliore

Le 28 mars, ils sont descendus de la montagne, écharpe tricolore en bandoulière. De mémoire de Catalans, on avait jamais vu ça. Plus d'une centaine d'élus des hauts cantons au pied des balcons de la préfecture des Pyrénées-Orientales avec des banderoles attestant de leur détermination: "Tous ensemble pour une RN 116 digne du XXIe siècle".

A l'origine de ce coup de gueule, une accumulation d'accidents qui auraient tous pu avoir des conséquences dramatiques. En 1999, des tonnes de roche tombent sur la RN 116 à hauteur de Thuès les Bains. Par miracle, pas de blessés mais l'unique route depuis Perpignan qui permet l'accès direct aux stations de ski est coupée en pleine saison hivernale! "Plus personne dans mon établissement pendant trois semaines!" se lamente encore Henri Planes, restaurateur à Saillagouse. Nouvel éboulement cet hiver avec cette fois-ci, une réparation plus rapide.

"Mais ce qui fait le plus peur, ce sont les bombes roulantes qui empruntent cette route d'un autre âge "commentent unanimes les élus de montagne. "Toutes les conditions sont réunies pour un scénario catastrophe avec un camion chargé de produits inflammables et qui prend feu près d'une zone habitée". "On ne demande pas une autoroute mais des moyens pour rendre cette RN 116 plus sûre afin de soulager des villageois aujourd'hui excédés" plaide Raymond Pouget, président du "Collectif d'élus pour la RN 116.

Marc Tamon.
Source: La Dépêche du Midi