Alors que l'ourse Franska a été accidentellement tuée dans les Pyrénées "percutée" successivement par deux voitures, un autre blessé dans les mêmes conditions en haut Ariège, Balou blessé par un chasseur, un chasseur blessé en Espagne dans le Val d'Aran,.... ces évènements nous rappellent que la polémique entre les pro et les anti ours n'a jamais cessé. Une polémique qui une fois de plus oppose modernité et archaïsme, le plus "conservateur" n'étant pas nécessairement celui qu'on croit. C'est ainsi que Franck Biancheri tentait en mai 2006 déjà de répondre à la question "Pourquoi réintroduit-on l'ours dans les Pyrénées?" et d'y apporter une vision trans-européenne novatrice...
David Chétrit, fils et frère d'éleveurs et producteurs de fromage de brebis de la vallée d'Ossau en Béarn dans les Pyrénées apporte des réponses constructives aux interrogations de l'auteur avec qui sont celles des pyrénéens acteurs des territoires de montagne. Il explique la tromperie dont les pyrénéens ont été les victimes et comment nous sommes passés aux notions "d'amélioration de l'acceptation" et "d'acceptabilité".
Car il s'agit bien là d'une question trans-européenne puisque les ours sont slovènes, et les Pyrénées hispano-françaises; et que sur le fond, cette question de "ré-introduction" d'espèces sauvages dans les zones rurales européennes touche plusieurs régions de l'Union européenne.
Pétitions espagnoles et françaises, pugilats bien intra-français, mise à sac de mairies, protestations, manifestations, articles et contre-articles, ... l'ours slovène est en train de devenir aussi célèbre en 2006 que le plombier polonais l'était en 2005!
Heureusement, aucun référendum n'est prévu pour qu'il devienne un facteur politique majeur. Pourtant, cette politique de "réintroduction" des ours dans les Pyrénées pose une question importante, qui touche au rapport même que les Européens d'aujourd'hui et de demain ont/auront avec la nature et leurs zones rurales. Pourquoi réintroduit-on l'ours dans les Pyrénées?
C'est une question anodine en apparence mais je me suis rendu compte que si les médias couvraient beaucoup le sujet et exposaient largement les griefs des "anti-ours", à savoir essentiellement le coût économique pour les bergers et la dangerosité de l'animal y compris pour les humains, il n'y avait pas de présentation des arguments des "pro-ours". En fait, les "anti-ours" étaient mis dans la position de gens voulant s'opposer à la loi, à une décision souveraine, dont la légitimité et la motivation devaient être une évidence pour tous. Ce n'est qu'après plusieurs semaines que soudain je me suis rendu compte qu'en fait je n'avais aucune idée de pourquoi il fallait à tout prix réintroduire des ours dans les Pyrénées.
Alors, j'ai essayé de trouver les réponses à cette question. Et, en fait je n'ai rien trouvé d'autre qu'un choix idéologique: c'est bien de réintroduire des animaux sauvages (même dangereux) dans la nature; et c'est mal de s'y opposer.
On peut bien entendu être contre les arguments des "anti-ours" et estimer que les pertes économiques imputables aux ours seront marginales (notamment par rapport à l'attrait touristique accru de la région dû à leur présence). On peut considérer légitimement que le risque d'attaque d'êtres humains est très limité et qu'il peut être intégré au risque général de vie en zone rurale. Mais il n'en reste pas moins que ce sont des arguments défendables et surtout qui se placent du point de vue de l'individu et de l'habitant, de celui qui au jour le jour vivra les conséquences du choix politique concerné. En démocratie, ce point de vue là ne peut pas être supérieur à celui du plus grand nombre; mais il ne peut pas être balayé du revers de la main non plus.
Et cela d'autant plus que "le plus grand nombre" n'a jamais été consulté en la matière. Les Français n'ont jamais élu de gouvernement "vert". Après plus de 20 ans de présence, les mouvements politiques "verts" restent en effet marginaux aux élections en France (autour de 5%). Donc, d'où vient cette "norme" qui dit qu'il est "bon", "sain" de réintroduire des animaux qui sont potentiellement dangereux pour l'être humain, qui ne sont pas en danger de disparition (l'ours brun se porte très bien de part le monde) et qui affectent directement l'activité humaine de la région (élevage de brebis et moutons en particulier).
En la matière, je n'ai pas de religion. Je ne suis ni pour, ni contre la réintroduction de l'ours dans les Pyrénées. En revanche, je crois qu'on est face à un problème démocratique emblématique d'une faiblesse affectant toutes les démocraties dans l'Union européenne, et qu'illustre également le problème de ratification du projet de Constitution européenne. Qui définit la norme quand les populations directement concernées ne sont pas consultées? D'ou vient la légitimité d'une position de principe, ou idéologique, quand aucun débat public n'a eu lieu?
Dans le cas qui nous intéresse, de quelle nature parle-t-on?
Est-il plus naturel de transporter un ours en camion d'une région d'Europe à une autre, en lui faisant effectuer un trajet qu'il n'aurait jamais fait "naturellement"? Ou d'élever
des moutons ou des brebis dans la montagne?
Qui décide de ce qui est "naturel" ou pas dans un domaine qui finalement est éminemment social et culturel et donc politique?
Qui est moderne et qui est archaïque, puisque ces étiquettes ont largement été utilisées dans ce débat en montrant généralement les "autochtones" comme archaïques et les autres
(les citadins, les associations écolos) comme modernes: celui qui pense que la nature appartient d'abord à celui qui en vit et qui y vit, ou bien à celui qui s'y promène le temps
des vacances?
Quel est celui le plus légitimement préoccupé par l'avenir: la mère dont la maison jouxte la forêt et qui a peur que son enfant soit agressé par un ours ou bien le cadre d'ONG
dans son bureau de lobbying à Paris, Bruxelles ou ailleurs qui frémit à l'idée que l'ours brun ait disparu des Pyrénées?
Ces questions sont complexes. Contrairement aux idées reçues et largement colportées par le discours dominant dans l'UE aujourd'hui, et en France en particulier, la modernité n'est pas forcément du côté de celui qui traite l'autre d'archaïque, le plus "conservateur" des deux n'est pas nécessairement celui qu'on croit; et celui qui néglige l'humain réel pour favoriser le principe théorique a peu de chances d'être le plus démocrate des deux.
Ces questions du droits des minorités face aux majorités, du droit de ceux qui vivent les conséquences d'une décision par rapport à ceux qui n'en ressentent pas les effets négatifs, du pouvoir de ceux qui perçoivent la réalité comme un espace homogène et isotrope où leurs idées et leurs principes peuvent/doivent s'appliquer sans discernement par rapport à ceux qui vivent dans des réalités très diverses les unes des autres ... sont au coeur de la réflexion et de la pratique démocratiques que Newropeans développe actuellement à l'échelle trans-européenne.
Car n'oublions jamais que désormais au sein de l'UE nous sommes tous des minorités face à nos 500 millions de concitoyens.
Et que si nous sommes tous des plombiers polonais, nous courrons également tous le risque que quelqu'un veuille introduire demain un ours slovène dans notre jardin.
Auteur: Franck Biancheri - mai 2006
Source: New Ropeans du 10 novembre 2008
Monsieur Biancheri j'ai lu avec attention vote article du 10 août 2007 concernant la réintroduction d'ours dans les Pyrénées (France-Espagne-Slovénie: Pourquoi doit-on "ré-introduire" des ours dans les Pyrénées? - NM 10/08/2007). Avec attention et avec plaisir. Je connais intimement le milieu pastoral pyrénéen pour y avoir grandi.
Biologiste et écologue de fomation, je sais que l'on se trompe, et que l'on trompe lorsque l'on prétend faire de l'écologie en introduisant des ours dans les Pyrénées, et lorsque l'on veut faire croire que la disparition de cet animal résulterait du peu d'égard des paysans pour la nature.
Mais c'est le prix de cette tromperie qui m'inquiète plus encore. Il a fallu s'asseoir mainte fois sur le coussin confortable de la démocratie pour parvenir à introduire par la force, des prédateurs qui risquent de précipiter la disparition des paysans que l'on fustigent lorsqu'ils sont les derniers détenteurs d'un savoir faire et d'un savoir vivre, avec et dans la nature.
Une petite fédération d'associations de bergers (1) vient de déposer en urgence un mémoire au Conseil d'Etat qui doit se prononcer dans les jours qui viennent, sur la légalité des introductions opérées en 2006. La séance de jugement s'est tenue discrêtement le 5 décembre 2008. Les éleveurs ont relevé pas moins de trente textes, lois ou règlements qui ont été totalement ignorés par les pouvoirs publics et dont certains concernent des libertés et des droits les plus fondamentaux. Le commissaire du gouvernement n'a pas même pris la peine de commenter ces points lors de la séance.
Ce mémoire de 174 pages accompagné de plus de 150 pièces, établi en particulier que les risques auxquels la présence d'une population d'ours expose les personnes, ont été totalement occultés et minimisés et que sur ce point, comme sur bien d'autres points, l'Etat et les services décentralisés de l'Etat ont menti. Il est établi également que les mesures censées accompagner les réintroductions se fondent sur un déni des modes traditionnels d'élevages et visent à imposer aux bergers des modalités insupportables sur les plans technique, économique et social. (en particulier le gardiennage permanent et le parcage de nuit de troupeaux qui ont de tout temps librement parcouru la haute montagne en période d'estive et qui sur le plan agronomique, économique et matériel sont irréalistes).
Il y est également exposé comment il a été opéré un glissement des pouvoirs publics en ce qui concerne la concertation des publics concernés. Au lendemain du rejet unanime du projet par les populations locales consultées en 1998, on a lentement glissé d'une prise en compte de l'acceptation sociale locale retenue initialement dans le programme comme critère dévaluation d'intégration du programme, vers des notions "d'amélioration de l'acceptation" et "d'acceptabilité".
Ces deux notions indiquent que l'on ne se réfère plus à ce que les gens acceptent librement selon leur propre analyse et leur propre détermination, mais que l'on dépossède au contraire les personnes de la faculté de juger par elles-mêmes de ce qui serait acceptable pour elles. A cette fin, l'amélioration de "l'acceptation sociale" ne pourrait alors consister qu'en une véritable tentative de "dressage" de la population locale.
Le risque d'attaque par un ours a toujours été intégré au risque général de vie en zone rurale dans la mesure où il a été dans l'histoire, laissé aux populations locales la possibilité et la liberté de maîtriser ce risque. Le problème d'aujourd'hui, c'est que le risque pour un ours d'être éliminé pour sa dangerosité ou son haut niveau de prédation n'est plus considéré comme un risque général de vie en zone rurale pour l'ours. Mourir sous les griffes d'un ours réinstallé artificiellement serait un risque naturel alors que tuer un ours pour défendre son troupeaux et sa propre peau est devenu un délit.
En somme on devrait admettre l'idée que l'on pourrait faire courir aux hommes un risque que l'on ne tolère pas de faire courir à l'ours! Il est laissé aux associations de protection de la nature partenaires du programme, le soin de juger de l'acceptabilité d'une telle situation.
Je vous remercie pour votre analyse rare, et pour votre lecture juste de la situation. La décision du Conseil d'Etat à venir nous dira si la démocratie constitue de manière acceptable, une proie naturelle et définitive de l'ours.
Si votre mouvement s'inscrit dans la défense de la démocratie au bénéfice en particulier des populations minoritaires qui n'ont généralement pas les moyens de faire face aux assaults juridiques de groupes d'intérêts et d'administrations, et qui sont souvent détentrices de particularités culturelles et d'autants de richesses humaines, je ne peux que vous soutenir et dans le même temps, solliciter votre soutien aux bergers pyrénéens. Encore merci.
Auteur: David Chetrit - Pau - France
Source: News Ropeans du 11 décembre 2088
David Chétrit est l'auteur de "Réintroduction de l'ours - Histoire d'une manipulation" (Ed. Privat)
(1) Il s'agit de la coordination pyrénéenne ADDIP à laquelle s'est rattachée à la démarche de nombreuses collectivités territoriales, des particuliers, des associations, des syndicats agricoles, des chambres d'agriculture, etc....