Il aura fallu un an à ce journaliste pour lire cet ouvrage de David Chetrit et se rendre compte que la manipulation autour de l’introduction d’ours dans les Pyrénées est bien réelle.
L’essentiel n’est pas ce retard mais le fait qu’enfin un journaliste prenne en compte des arguments différents de ceux établis arbitrairement et autoritairement par des associations écologistes et une poignée de hauts fonctionnaires qui voyaient se réaliser leurs fantasmes sur la base de l’exode rural programmé des années 1970.
Néanmoins, Michel Feltin-Palas manque d’informations et de connaissances du dossier ou plus exactement, ne les a pas cherchées. Dire: "les prédations sont plus faibles là où les troupeaux sont gardés de manière permanente en Béarn, notamment,…" est inexact. Même en Béarn, les troupeaux sont en liberté. Les brebis rentrent pour la traite. Si aujourd'hui (2012 / 2013) il y a moins de prédations c'est tout simplement parce qu'il n'y a plus qu'un seul ours mâle et occasionnellement un second qui se partage avec la Bigorre.
Et puis, il fallait mentionner que dans les Pyrénées il n’existe pas UN modèle de pratiques pastorales mais autant de modèles que de terrain, de vallée, de races… La conduite des troupeaux relève de pratiques anciennes complexes qui n’ont jamais fait l’objet d’une étude préalable aux introductions liées à l'introduction d'ours non autochtones contrairement aux exigences de l'article 22 de la directive européenne "habitats" à laquelle les écologistes se référent en permanence... en oubliant cet articcle tout comme l'article 2.
Il y a des détails difficiles à cerner pour un non initié comme peut l’être le journaliste. C’est normal. Mais le véritable problème a été d’imposer aux éleveurs des grands prédateurs qui n’ont jamais été acceptés depuis la nuit des temps tout en voulant imposer, sans aucune compétence de la part des donneurs de leçons, des pratiques pastorales qui n’ont jamais existées dans de nombreuses vallées.
Aujourd’hui, la non acceptation sociale est reconnue et il est assez peu probable que de nouvelles introductions soient envisagées.
Louis Dollo, le 30 mars 2013
L'ours des Pyrénées est sorti de son hibernation. L'occasion de revenir sur les nombreuses idées reçues dont il est l'objet.
L'ours des Pyrénées est sorti d'hibernation. En témoigne cette photo excepitonnelle: des empruntes de pattes dans la neige prise le 22 mars en vallée d'Aspe (Pyrénées-Atlantiques) par un garde du parc national des Pyrénées. Les traces d'un autre plantigrade ont été aperçues dans la nuit du 18 au 19 mars aux alentours de la commune de Luz-Saint-Sauveur (Hautes-Pyrénées).
L'animal fascine. Depuis des décennies, il est l'objet en France de batailles homériques, d'opinions tranchées, de combats passionnés. Le plantigrade est peu à peu devenu Le symbole de la faune sauvage en France. D'où les multiples idées reçues qui circulent à son propos. En voici quelques-unes, démontées notamment à l'aide d'un ouvrage paru récemment: la réintroduction de l'ours, de David Chétrit (1). Un livre engagé, mais remarquablement argumenté, qui devrait faire date.
1. L'ours brun est une espèce menacée.
Faux. Si sa survie est clairement menacée en France, on compte environ 50 000 individus en Europe et près de 250 000 dans le monde, selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN). L'ours brun ne figure pas sur la liste rouge des espèces en voie d'extinction, mais sur celle des "moindres risques".
2. L'ours des Pyrénées est une espèce en soi.
Faux. L'ours brun n'est pas " des Pyrénées ": il est de toute l'Europe et même de toute la planète. On en trouvait d'ailleurs encore dans les Alpes dans les années 1930, et même en région parisienne voilà 5 siècles! Les ours "des Pyrénées" ne sont donc pyrénéens que par défaut: ce massif est simplement le dernier lieu où ils ont pu se maintenir dans l'Hexagone.
3. L'homme est le principal adversaire des ours.
Vrai. Si les ours ont disparu de la quasi-totalité des territoires européens, c'est d'abord parce qu'ils se sont heurtés à la concurrence redoutable d'un autre mammifère: l'homme qui, au fil des siècles, a procédé à de larges déforestations et chassé tous les prédateurs pour préserver ses cultures. Occupant jadis les plaines, les ours en ont peu à peu été délogés et seules les montagnes leur ont permis de trouver les vastes espaces dont ils ont besoin pour survivre.
Un autre facteur a joué. Pour des raisons religieuses, l'Eglise catholique, a mené au Moyen-Age une campagne d'élimination acharnée du grand mammifère. Considéré comme le roi des animaux, celui-ci faisait en effet l'objet de cultes ancestraux et de cérémonies païennes (voir Michel Pastoureau. L'ours, l'histoire d'un roi déchu. Editions du Seuil).
4. Les chasseurs et les bergers sont les principaux responsables de la mort des ours des Pyrénées.
Faux. 3.000 ours auraient été tués dans le massif en 300 ans. Un chiffre impressionnant a priori, mais correspondant en fait à la disparition de 10 ours par an en moyenne sur l'ensemble de la chaîne. Encore faut-il savoir qu'il s'agissait là d'une nécessité pour des communautés villageoises très pauvres et en aucun cas d'une partie de plaisir: jusqu'au XIXè siècle, tuer un ours supposait un corps à corps avec l'animal! Ce phénomène, réel, ne joue donc qu'un rôle marginal. Les vraies raisons de la raréfaction de l'ours dans les Pyrénées sont ailleurs. Voici les principales:
5. Les pertes des éleveurs liées aux ours sont faibles.
Vrai et faux. "En 2008 et 2009, les ours ont tué environ 150 brebis par an dans les Pyrénées françaises. Cela représente 0,025 % du cheptel et moins de 1% de la mortalité domestique (accidents, maladies, prédations, vols, foudre...)", écrit ainsi l'association "Pays de l'Ours - Adet".
Ces chiffres, exacts à l'époque, méritent cependant d'être relativisés. D'une part, ils ont évolué à la hausse: 272 animaux ont été tués (et indemnisés) par l'ours sur l'ensemble de la chaîne en 2012 contre 176 en 2011 et, 167 en 2010, selon un bilan communiqué le 26 février par la préfecture Midi-Pyrénées. Un niveau toutefois en-deçà du pic de 319 ovins tués en 2007, lié au comportement d'une ourse particulièrement prédatrice, Franska, décédée depuis.
D'autre part, pour un éleveur, c'est l'impact sur son troupeau qui compte. Quand un berger perd 30 bêtes, peu lui importe de savoir qu'il y a au total 600 000 ovins dans les Pyrénées. Cette difficulté supplémentaire est d'autant plus difficile à accepter pour lui qu'il ne s'agit pas d'une disparition "naturelle ", inhérente au métier, mais d'une perte qui résulte d'une cause volontairement créée dans le cadre de la politique de réintroduction.
Outre l'impact psychologique considérable d'une attaque d'ours sur un troupeau (voir plus loin), ce raisonnement ignore également les complications qu'elles entraînent, y compris lorsque ces attaques échouent. Pour protéger son troupeau, un berger de la vallée d'Ossau a ainsi dû passer trois nuits blanches successives, le fusil à la main, pour repousser un animal particulièrement opiniâtre. Avant d'enchaîner des journées " normales " de 14 heures à 16 heures de travail. Une situation que ne traduit aucune statistique.
Enfin, tous les chiffres le montrent: les pertes sont proportionnelles au rapport entre le nombre d'ours et le nombre de brebis. Multiplier des réintroductions, c'est programmer mécaniquement une augmentation des prédations.
6. Quand l'ours tue une brebis, le berger est indemnisé.
Vrai, mais. Certaines associations environnementales se sont fixé un but: oeuvrer pour que "l'ours et le berger puissent vivre chez eux, dans les Pyrénées". A cette fin, elles ont préconisé et obtenu que les éleveurs perçoivent une prime lorsque leurs bêtes sont tuées.
Equitable en apparence, cette mesure n'est guère opérationnelle pour plusieurs raisons.
7. Le programme de réintroduction des ours a été validé par les scientifiques.
Faux. Elle a au contraire été dénoncée par la plupart d'entre eux. Certains ont même démissionné avec fracas. En 2000, la direction régionale du ministère de l'environnement sera d'ailleurs contrainte de le reconnaître dans un rapport: "manque de dialogue auprès des populations locales, coordination avec l'Espagne insuffisante; impréparation scientifique de l'opération; intérêt scientifique du projet non démontré pour la biodiversité pyrénéenne; mauvais choix des ours à réintroduire ; graves préjudices sur le pastoralisme dans les Pyrénées centrales ; retombées économiques insuffisantes, diffuses et difficilement quantifiables". Entre autres.
8. La réintroduction des ours a été réalisée avec l'accord des populations locales.
Faux. L'ouvrage de David Chetrit est extraordinairement précis et convaincant sur ce sujet. A défaut de pouvoir obtenir l'assentiment des villageois directement concernés, les promoteurs de la réintroduction ont joué la carte de l'opinion publique: qui serait opposé à la sauvegarde d'une espèce _ faussement, donc _ présentée comme "menacée", a fortiori dans un territoire où l'on n'habite pas soi-même? Il faut dire aussi que les paysans, peu habitués des médias, ont souvent multiplié les erreurs de communication.
9. Les bergers peuvent éviter les attaques en restant en permanence à côté de leurs troupeaux.
Vrai, mais. Selon le ministère de l'environnement, les prédations sont plus faibles là où les troupeaux sont gardés de manière permanente _ en Béarn, notamment, où les bergers fabriquent du fromage et restent une partie de l'été au côté de leurs brebis pour les traire matin et soir. Elles sont plus élevées dans les zones où les troupeaux, élevés pour leur viande, sont souvent laissés seuls. D'où la volonté de généraliser le gardiennage permanent.
Cette idée est toutefois difficilement applicable. Souvent très pauvres, la plupart des bergers doivent mener une autre activité pour boucler les fins de mois: ils sont accompagnateurs en montagne, saisonniers quand ils ne doivent pas descendre régulièrement dans les vallées pour préparer le fourrage d'hiver. Le gardiennage permanent les obligerait donc soit à renoncer à ce complément de revenus soit à embaucher d'autres salariés alors qu'ils ont eux-mêmes du mal à joindre les deux bouts. Sans oublier quelques "détails": l'existence d'estives sans point d'eau ou... sans cabane!
10. L'ours n'est pas un animal dangereux pour l'homme.
Faux. Certes, en France, aucun être humain n'a été tué par l'ours depuis le XIXè siècle. En conclure qu'il n'y aucun péril serait toutefois aller un peu vite en besogne. Selon les études internationales, l'ours brun est en effet 13 fois plus dangereux que son cousin polaire et 22 fois plus dangereux que l'ours noir. En témoignent les 20 décès _ et les centaines de blessés _ recensés en Roumanie entre 1987 et 1992. Trois cas mortels ont également été dénombrés depuis la Seconde guerre mondiale en Slovénie _ le pays d'où proviennent les animaux réintroduits dans les Pyrénées.
Pour rassurer les populations, l'Etat a certes prévu d'accrocher sur les plantigrades un appareil qui permet de les localiser. Le problème est que ce dispositif ne fonctionne pas en permanence alors qu'un ours peut parcourir... 80 kilomètres en une journée. De plus, les oursons nés dans la nature ne sont naturellement pas équipés, pas plus que les ours "autochtones" vivants encore à l'ouest de la chaîne.
Fourmillant de références, citant systématiquement ses sources, l'ouvrage de David Chetrit constitue une remise en cause brillante et dérangeante de la politique menée par la France, sous l'influence notamment de certaines associations de défense de l'environnement. On attend avec impatience leur réponse.
(1) La réintroduction de l'ours. L'histoire d'une manipulation. David Chétrit. Editions Privat. 284 p, 18 €.
Auteur: Michel Feltin-Palas
Source: L'Express du 28/03/2013