Ce rapport d’experts est d’une totale indécence. Il est écrit: "En l’état actuel des connaissances sur la biologie de l’Ours brun, il n’y a donc pas de raisons de prédire des impacts négatifs significatifs de cette espèce sur la faune sauvage des Pyrénées". Mais pas un mot sur l’impact de l’ours sur la présence de l’humain, ses activités et ses troupeaux d’animaux domestiques. Pour ces scientifiques, les montagnes pyrénéennes se limitent à des espaces et une faune sauvages. Il n’existe aucune notion de développement durable où l’homme fait partie de la biodiversité. Stupéfiant! Un rapport typiquement idéologique: celui de l’écologie profonde.
Cette expertise répond à la commande du Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie du 07 mai 2013 annexée à ce document. Il est à noter que l’avis rendu dans le présent document porte sur les aspects écologiques de la conservation d’une population ursine dans les Pyrénées. Si ces aspects sont fondamentaux, le collectif d’experts mobilisé a conscience que les enjeux socio-économiques, sur lesquels il n’avait pas à se prononcer, sont également déterminants. Un autre enjeu est l’exemplarité de la France pour les stratégies de conservation d'espèces menacées pouvant notamment faire intervenir des réintroductions, que ce soit en Europe ou ailleurs dans le monde.
Ce n’est qu’à l’issue d’une appréciation globale de tous ces enjeux que les pouvoirs publics pourront se prononcer sur la stratégie à adopter. Le panel d’experts a par ailleurs considéré la population ursine pyrénéenne dans sa globalité, c'est-à-dire à la fois sur les versants français et espagnol. La gestion de cette population doit en effet être considérée à cette échelle.
Comme de nombreux grands carnivores, l’Ours brun est une espèce à faible densité qui nécessite de grands espaces pour répondre à ses exigences écologiques. Evaluer quantitativement les habitats disponibles s’avère donc indispensable pour tout programme de maintien ou de restauration de cette espèce. Plusieurs analyses réalisées sur l’Ours brun tendent à montrer que la partie Est des Alpes constituerait un habitat favorable pour accueillir plusieurs centaines d’Ours bruns.
Une analyse sur l’ensemble des Pyrénées a été récemment réalisée pour évaluer à la fois la qualité des habitats disponibles et leur distribution spatiale à deux échelles spatiales différentes et complémentaires en utilisant des données issues de la population des Monts Cantabriques (Espagne). A large échelle (aire d’étude divisée en pixels de 5x5 km), une approche qui s’appuie sur les modèles source-puits a permis de cartographier la qualité des habitats en fonction des liens supposés entre paramètres démographiques (survie et reproduction) et habitats (Naves et al. 2003). Cette étude ne préjuge pas de la tendance démographique en termes de maintien ou extinction des populations. Elle évalue en revanche la capacité de soutenir une population plus ou moins abondante. Cette approche conduit à définir en fonction de variables naturelles et anthropiques quatre catégories de qualité d’habitat décroissante: type source (favorable pour la survie et la reproduction), refuge (favorable pour la survie mais pas pour la reproduction), puits attractif (favorable pour la reproduction mais pas pour la survie) et puits (défavorable à la fois pour la survie et la reproduction). On constate que les patrons de sélection de l’habitat à large échelle sont similaires entre les deux populations d’Ours bruns et qu’il est possible de cartographier la qualité des habitats dans les Pyrénées à partir des prédictions du modèle développé dans les Monts Cantabriques. Les habitats de type source correspondent bien à la présence de l’Ours brun avec environ 70% des indices de présence localisés dans cette catégorie d’habitat et 90% des indices de présence de femelles suitées. A large échelle, sur l’ensemble de la zone d’étude des Pyrénées, les habitats les plus favorables de type source couvrent une surface de 12.289 km.
A une échelle locale (aire d’étude divisée en pixels de 200x200m), un modèle de niche écologique a été développé avec les données de présence des Ours bruns dans les Pyrénées. Le couplage des deux échelles spatiales permet une hiérarchisation plus fine de la qualité de l’habitat. Le modèle de niche écologique montre une bonne adéquation avec le modèle à large échelle: les bons habitats prédits par le premier sont le plus souvent dans les habitats de type source prédit par le second. Ainsi les prédictions par le modèle local permettent une hiérarchisation qualitative des différentes catégories d’habitats. Par exemple, les habitats de type source, les plus importants pour le maintien de l’Ours brun, sont classés en trois groupes: les bons, les moyens et les basiques (Fig.9).
Notons que de grandes zones constituées d’habitats sources restent inoccupées et que les Pyrénées pourraient donc accueillir un plus grand nombre d’individus qu’actuellement. La densité actuelle de la population pyrénéenne dans ce type d’habitat est faible avec 0.3 individus /100 km² pour 2.1 dans les Monts Cantabriques. En se basant sur la densité de population cantabrique, on peut estimer que les Pyrénées (à la fois sur la France et l’Espagne) ont la capacité d’accueillir au moins cent dix individus d’après la quantité d’habitats type source disponibles. Enfin nous constatons que des habitats de type source permettent de connecter les habitats occupés actuellement par les noyaux central et occidental. Il s’agit donc d’une zone cruciale à gérer afin de permettre l’échange d’individus entre ces deux noyaux.
Sur la base de l’état actuel de la population d’Ours bruns des Pyrénées, deux catégories de facteurs de pressions sont identifiées selon leur effet au cours du temps:
Les risques démographiques (stochasticité démographique *1, stochasticité environnementale *2 et densité dépendance, cette dernière n’étant pas pertinente actuellement sauf à une échelle très locale) sont liés à l’effectif réduit de la population dont la taille minimale estimée en 2012 est de 22 individus et aux effets aléatoires de cause de mortalité d’origine naturelle ou humaine
*1 Variance dans le taux de croissance d'une population qui résulte des aléas de réalisation à l’échelle individuelle des taux moyens de survie et de reproduction de la population.
*2 Variance dans le taux de croissance d'une population qui résulte de différences interannuelles dans la distribution de probabilité décrivant le nombre de descendants et/ou la
probabilité de survie des individus.
Cette population se répartit en deux noyaux distants d’environ 60 km, le noyau central avec l’essentiel de la population (au moins 20 individus différents détectés en 2012) et le noyau occidental virtuellement éteint avec seulement deux mâles adultes âgés de 16 et 9 ans.
Depuis 1997, malgré la bonne continuité des habitats, ces 2 noyaux semblent fonctionner indépendamment puisqu’un seul échange d’individu a été détecté à la suite de la dispersion d’un jeune mâle du noyau central vers le noyau occidental en 2000. Néanmoins, d’un point de vue théorique, la perte de l’effet rescousse par disparition imminente du noyau occidental peut augmenter les risques démographiques et environnementaux et constitue donc un risque supplémentaire pour l’avenir de la population.
Un sexe ratio déséquilibré en faveur des mâles est enfin un risque supplémentaire pour les petites populations car il peut entraîner des risques accrus d’infanticide, voire de mortalité chez les femelles adultes accompagnées des oursons de l’année. Cette éventualité a été envisagée dans le cadre de la population occidentale avant la mort de la dernière femelle (Chapron et al. 2009).
Les risques génétiques se traduisent par un accroissement de la consanguinité à moyen terme (10-15 ans). Cet accroissement de la consanguinité est lié au nombre réduit d’individus fondateurs, avec seulement 4 individus sur les 8 réintroduits qui ont participé à la reproduction, et au choix réduit du nombre de partenaires. Elle peut entraîner une baisse de la fécondité et de la survie des individus reproducteurs (Robert et al. 2007).
Sur la base des données récoltées sur la population des Pyrénées, on constate que ce risque génétique est très élevé du fait de reproductions très fréquentes entre apparentés du 1er degré (père et fille)
De plus, depuis 1997, un mâle adulte dominant âgé de 25 ans monopolise l’accès aux femelles dans le noyau central. Il est le père de 24 oursons sur les 28 identifiés entre 1997-2012
Il n’existe pas d’étude spécifique sur l’impact potentiel des Ours bruns sur la faune sauvage des Pyrénées et nous pouvons seulement nous référer aux contextes similaires où des Ours bruns vivent dans des écosystèmes proches en termes de composition et de fonctionnement écologique. Les Ours bruns d’Italie centrale, des Alpes et de Slovénie/Croatie ne semblent pas avoir d’effet néfaste sur la faune locale. Bien qu’il n’y ait aucune étude spécifique étayant cette observation, une série de constats ponctuels peut être retenue comme support.
Dans les Abruzzes, la population locale d’Ours bruns a survécu en l’absence de toutes les espèces de grands ongulés (cerf, chevreuil, sanglier) jusqu’aux années 70. C’est alors que cerfs et chevreuils ont été réintroduits dans les zones à ours. En dépit d’un petit nombre initial de cerfs réintroduits et de la présence simultanée de loups dans ces mêmes zones, la population de cerfs a rapidement augmenté jusqu’aux niveaux actuels de surabondance et de fortes densités. La présence de l’Ours brun n’a donc pas empêché la population de cerfs d’être viable et de s’accroître.
Une constatation similaire sur l’absence d’impact a été faite également dans le cas de la réintroduction des Ours bruns dans le Trentin. Les Ours bruns sont en effet écologiquement très flexibles et se nourrissent d’une grande variété d’aliments, incluant fourmis, baies, charognes, plantes. Dans le contexte méditerranéen, il est donc rare qu’ils chassent activement les grands ongulés.
En l’état actuel des connaissances sur la biologie de l’Ours brun, il n’y a donc pas de raisons de prédire des impacts négatifs significatifs de cette espèce sur la faune sauvage des Pyrénées.
Comme pour la faune, on ne dispose pas d’étude scientifique qui pourrait conduire à envisager un impact de l’Ours brun sur la flore des Pyrénées. Néanmoins, en 2013, un travail préliminaire sur l’endozoochorie par l’Ours brun dans les Pyrénées a été effectué (Lalleroni 2013). Il tend à montrer que, par rapport aux grands herbivores, l'ours permet la dispersion de nombreuses espèces de plantes sur de grandes distances dans le milieu pyrénéen.
Cette partie n’a pas l’ambition de fournir un cadre socio-économique relatif à la présence de l’Ours brun dans les Pyrénées, le travail correspondant devant être réalisé par ailleurs par les autorités et experts compétents.
L’étendue des déplacements et la taille des domaines vitaux des Ours bruns réintroduits dans les Pyrénées sont nettement supérieures à ceux des Ours bruns non déplacés. Après une phase d’acclimatation les déplacements se réduisent (Quenette et al. 2006). Pour que la cohabitation reste possible entre l’Homme et l’Ours, quelques préconisations peuvent être faites.
D’une manière générale, il est important de poursuivre et renforcer les efforts de communication sur l’Ours brun que ce soit concernant sa biologie, les lieux ou les individus se trouvent ou encore l’attitude à avoir en cas de rencontre. Ce dernier cas reste important bien que les rencontres Hommes/Ours soient rares. En outre, les comportements à suivre peuvent différer en fonction des individus rencontrés (femelle suitée ou autre).
En effet, une étude de Quenette et al. (2011) précise qu’entre 1996 et 2010 ont été relevés 495 cas de rencontres (28,7% concernant des randonneurs, 25,4% des membres de l’équipe Ours et 17% des bergers/éleveurs).
Concernant l’élevage, de nombreuses aides (prévention et indemnisation) sont déjà proposées aux éleveurs, il est donc nécessaire de continuer ces démarches et de persévérer sur l’acceptation de ces aides par les éleveurs. Dans ce cadre, il est important de maintenir le réseau de bergers d’appui et de techniciens en chiens de protection car il constitue une aide efficace et immédiate en cas de dégâts répétés sur certaines estives. En cas de présence et de dégâts également occasionnés par le loup, même si leur nature diffère du fait des différentes techniques de chasse des deux espèces, il faudra veiller à homogénéiser par la suite les indemnisations proposées pour les dégâts causés par les deux espèces, ours et loup.
Un important travail est aussi déjà effectué avec les chasseurs. Une des recommandations serait d’harmoniser les arrêtés fixés entre les différents départements, voire de privilégier la mise en place d’une charte comme c’est le cas en Haute-Garonne et dans l’Aude. Contrairement aux arrêtés, la charte permet une certaine souplesse facilitant la cohabitation Homme/Ours, cette souplesse étant à favoriser en cas d’augmentation du nombre d’Ours bruns.
Enfin, du point de vue de la gestion forestière, un guide édité par la DREAL Midi-Pyrénées a été publié en 2011 et ces recommandations semblent à même d’assurer la cohabitation. Il serait toutefois nécessaire de mettre en place un système d’évaluation de cet outil adressé aux gestionnaires des forêts publiques et privées. Quoi qu’il en soit, on ne s'attend pas à ce que la présence d'une population d'Ours bruns exige des modifications importantes dans les méthodes actuelles de gestion des activités forestières.
La conservation de l’Ours brun dans les pays européens est soumise à plusieurs accords et traités internationaux. Bien que le traité juridique le plus pertinent pour les Etats membres de l’Union Européenne soit la Directive Habitats (92/43/EEC), plusieurs autres textes tels que:
déterminent également le cadre juridique de la conservation de la nature et de la protection des espèces sauvages.
Concernant l’Ours brun en France, la Convention de Berne (signée en 1979) constitue le traité le plus ancien en vigueur sur la conservation des espèces sauvages à l’échelle de l’Europe. Elle détermine des responsabilités claires concernant le maintien de populations viables de toutes les espèces européennes autochtones. La Convention de Berne ne dispose cependant pas d’un dispositif de sanctions dissuasives ou de mesures fortement incitatives encadrant la mise en œuvre de ses dispositions.
La Directive Habitats fournit un cadre légal similaire mais beaucoup plus contraignant pour la conservation des espèces. Elle fournit un cadre cohérent à l’échelle de toute l’Europe et une vision unifiée pour la conservation de toutes les espèces menacées. Les principaux objectifs de la Directive Habitats sont clairement formulés (art. 2): ils établissent clairement que l’objectif global est de restaurer et de maintenir la biodiversité dans la Communauté Européenne et de viser un état de conservation favorable des espèces et des habitats.
Les articles 12 à 16 portent sur les espèces: les Ours bruns sont listés dans l’annexe II (avec quelques exceptions) et en conséquence les Etats Membres sont tenus de maintenir les populations d’Ours bruns dans un état de conservation favorable tel que défini dans l’art. 1.
Le concept d’état de conservation favorable a été abondamment débattu et il reste sujet à une diversité d’interprétations. La Commission Européenne a toutefois approuvé en 2008 un ensemble de lignes directrices sur «les plans de gestion des niveaux de population» (Linnel et al. 2008). Ces lignes directrices clarifient le concept appliqué aux grands carnivores en Europe et constituent le principal texte de référence pour mettre en œuvre le concept d’état de conservation favorable en Europe. Elles déterminent les objectifs des actions de conservation des populations de grands carnivores et fournissent le cadre juridique et technique pour atteindre ces objectifs au niveau de chaque population.
L’aire totale de présence de l’Ours brun dans les Pyrénées est de l’ordre de 3.800 km2. A large échelle, on constate que de grandes zones constituées d’habitats de bonne qualité (type source) restent inoccupées et que les Pyrénées pourraient donc accueillir un plus grand nombre d’individus qu’actuellement. La densité actuelle de la population pyrénéenne dans ce type d’habitat est faible avec 0.3 individus /100 km2 pour 2.1/100 km2 dans les Monts Cantabriques. En se basant sur la densité de population cantabrique, on peut estimer que l’ensemble des Pyrénées (à la fois sur la France et l’Espagne) a la capacité d’accueillir au moins cent dix individus en cumulant les habitats type source bon et moyen qui couvrent une superficie de 6.013 km2 sur l’ensemble des Pyrénées.
L’objectif ultime de toute stratégie de conservation espèce centrée est de maintenir la viabilité du système de populations considéré en coexistence avec les activités humaines. Cette viabilité résulte des interactions entre l’écologie de l’espèce, la qualité de l’habitat disponible en prenant en compte les effets anthropiques sur cet habitat ou sur l’espèce ainsi que les fluctuations normales ou catastrophiques de cet habitat, ainsi que les mesures de conservation mises en œuvre (Beissinger & McCullough 2002, Morris & Doak 2002).
Ces facteurs influencent les interactions génotypes, phénotypes, environnements qui in fine affectent positivement ou négativement la viabilité de la population au travers des trois processus de survie, reproduction et dispersion (Hanski et al. 1996, Gilpin 1991).
Le cadre démographique constitue donc un filtre au travers duquel s’expriment tous les facteurs pilotant la viabilité du système considéré. La projection de viabilité dépend cependant de l’échelle spatiale et temporelle considérée.
D’un point de vue spatial, il s’agit ici d’envisager la viabilité de la population pyrénéenne d’Ours bruns dans l’ensemble de son habitat potentiel actuel et futur, tout en considérant le devenir de chacun des noyaux actuels de présence de l’espèce. L’horizon temporel pour ce futur doit se fixer dans les standards internationaux de conservation tels que recommandés par l’UICN (2001, 2012) et soutenus par la commission européenne dans la définition des états favorables de conservation pour les grands carnivores (Linnel et al. 2008).
Il s’agit donc de définir le meilleur état de conservation démographique et génétique possible à terme pour cette espèce en fonction de la disponibilité et la qualité de son habitat potentiel de façon à assurer la viabilité maximale au-delà des horizons temporels usuels de gestion.
Les critères listes Rouge incluent le critère synthétique de viabilité (critère E) et les indicateurs de cette viabilité concernant l’effectif d’individus matures (critère D), la surface d’occupation ou d’occurrence (critère B).
Pour rappel, selon l’ensemble de ces critères la population d’Ours des Pyrénées est actuellement considérée comme ‘en danger critique’.
L’habitat futur disponible (critère B UICN) tel qu’évalué précédemment fournit une perspective de plus de 6.000 km² de zone d’occupation sans fragmentation sévère pour des habitats de plus grande qualité et de plus de 12.000 km² si l’on inclut les habitats de moindre qualité ce qui dans les deux cas est suffisamment favorable pour une classification en préoccupation mineure sur ce critère.
L’effectif mature espéré (critère D UICN) se situe aux environs de 110 individus (Martin et al. 2012b) dont 94 matures en hypothèse basse ce qui permettra de passer, sur ce critère, de la catégorie ‘en danger critique’ à la catégorie ‘en danger’.
Si l’on considère les potentialités d’habitats les plus larges, un effectif de 258 individus dont 220 matures peut être atteint. Il mènerait à une catégorisation ‘en danger’ mais proche du seuil ‘vulnérable’ de la population pyrénéenne. Les possibilités de connections futures avec d’autres populations (par exemple celle des monts cantabrique) semblent, en l’état, limitées ce qui ne permet pas d’améliorer significativement cette perspective.
Le critère global de viabilité (critère E UICN), qui de fait résulte de tous les autres facteurs (effectifs, distribution spatiale etc…) fait référence pour une ‘préoccupation mineure’ à un seuil de 10% de risque d’extinction à 100 ans sur l’ensemble pyrénéen.
Le massif des Pyrénées bénéficie déjà de nombreux dispositifs de protection concernant l’habitat: Parc National des Pyrénées, Parc Naturel Régional des Pyrénées Ariégeoises, Réserves naturelles nationales (Vallée d’Ossau, Néouvielle, Prats de Mollo la Preste…), Réserves naturelles régionales (Errato Handia, Aulon, Vallée d’Eyne…), Sites Natura 2000 (Massif du GER et du Lurien, Massif de Sesques et de l’Ossau, Hautes vallées d’Aspe et d’Ossau…), etc. L’intervention sur les habitats dans les Pyrénées est donc aujourd’hui suffisante. Il n’est pas nécessaire de renforcer ces protections.
D’une façon générale, la non-intervention devrait conduire à la perte du noyau occidental et à l’augmentation du taux de consanguinité dans le noyau central. Sans modélisation supplémentaire, il est difficile d’évaluer le risque de la perte du noyau occidental sur le noyau central, même s’il existe en théorie.
Le risque d’extinction du noyau central reste faible à court terme, mais il augmente à plus long terme.
Par conséquent la non-intervention maximise les risques encourus pour le maintien de l’espèce dans les Pyrénées puisqu’elle cumule à la fois les risques démographique et génétique pour les deux noyaux de la population.
Tout scenario de conservation faisant intervenir des translocations doit se placer dans le cadre des recommandations UICN sur ces pratiques qui ont été réactualisées récemment (IUCN & SSC 2013).
Incluant une réflexion sur l’évaluation des stratégies alternatives, l’association d’analyses de faisabilité et d’analyses des risques, et la gestion adaptative des populations transloquées par un suivi performant, elles proposent un cadre conceptuel robuste pour ces translocations. Elles constituent le cœur des nouvelles recommandations (No. 158, novembre 2012) du Conseil de l’Europe pour le Standing Committee de la Convention de Berne sur les translocations de conservation en conditions de changements climatiques.
Dans ce contexte, la dynamique des populations transloquées est susceptible de montrer
Le succès de ces translocations ne peut s’appréhender qu’en tenant compte de ces trois phases. Si les deux premières sont bien sûr indispensables à court et moyen terme, la viabilité à long terme de la population n’est assurée qu’en fonction du niveau atteint lors de la phase de régulation en réponse à la disponibilité des habitats.
Un pilotage à courte vue qui ne tiendrait compte que de la phase d’installation présente de fort risque d’échecs. Avant de présenter les différentes stratégies possibles, il est important de rappeler ici que la probabilité d’intervention future décroîtra avec le nombre initial d’individu réintroduit.
La translocation d’Ours bruns dans les Pyrénées peut s’envisager selon différents scenarii. Le premier se focalise sur un renforcement entre noyaux pyrénéens tandis que le second se concentre sur une translocation d’individus issus d’une population non pyrénéenne.
Ces scenarii peuvent se décliner en différentes stratégies. Nous allons donc présenter les avantages, désavantages et recommandations pour l’ensemble de ces scenarii et des stratégies associées.
Renforcement entre noyaux pyrénéens (franco espagnols).
Pour ce scenario, la translocation peut se faire du noyau central vers le noyau occidental ou du noyau occidental vers le noyau central.
Transfert d’une ou deux femelles du noyau central vers le noyau occidental
Recommandation: Scenario trop risqué pour la conservation de l’Ours brun
Transfert des 2 mâles du noyau occidental vers central
Recommandation: Scenario trop risqué pour la conservation de l’Ours brun
Renforcement avec translocation d’individus issus d’une population non pyrénéenne.
Pour ce scenario, il est possible de jouer sur l’espace, avec les deux noyaux, le nombre d’individu et leur qualité (âge, sexe) ainsi que le rythme des lâchers.
Différentes stratégies sont là aussi envisageables:
Renforcement du noyau central uniquement
Recommandation: Scenario induisant un risque élevé de perte du noyau occidental sans gain très significatif sur la viabilité globale de la population
Renforcement du noyau occidental uniquement
Recommandation: Scenario possible mais avec risque(s) non maitrisé(s) pour la conservation de l’Ours brun dans le noyau central.
Renforcement des deux noyaux
Recommandation: De loin le meilleur plan en ce qui concerne la viabilité de l’Ours brun dans les Pyrénées.
Création d’un troisième noyau
Recommandation: Scenario recommandable uniquement en cas d’impossibilité des deux scenarii précédents.
Deux scenarii se détachent de manière claire:
Nous allons examiner dans les parties suivantes les effectifs, le sexe ratio et le rythme de lâcher en fonction de ces deux scenarii.
Des études permettant d’estimer le nombre d’individus à relâcher dans les Pyrénées ont déjà été menées en 2009 et en 2010 (Chapron et al. 2009 ; Quenette et al. 2010). Le nombre de reproducteurs actifs actuels et les probabilités d’extinction étant inchangés depuis, ce qui traduit une forte inertie, nous suggérons de conserver ces modèles et les effectifs préconisés.
Ainsi ces études préconisaient de
Pour rappel, l’état actuel des populations (cf. §3.a) et les effectifs envisagés de translocation doivent être comparés avec les objectifs ultimes de viabilité de ces populations tels que définis dans le paragraphe 5.b. Ainsi, la Liste rouge nationale de l’UICN classe l’Ours brun en "danger critique d’extinction".
Afin que la population pyrénéenne ne soit plus considérée comme en danger, elle doit être composée de 250 individus matures selon les critères UICN. Par ailleurs, si nous considérons l’étude concernant la disponibilité de l’habitat (Martin et al. 2012b), l’habitat type source permet d’accueillir 110 individus, soit 94 individus matures pour l’habitat le plus favorable à 258 individus, soit 220 matures, si les habitats favorables de moindre qualité sont inclus.
A partir de ces connaissances, nous pouvons apporter quelques précisions concernant les deux scenarii de renforcement précédemment choisi.
Renforcement du noyau occidental uniquement
Idéalement, un renforcement de 3 mâles et 10 femelles est préconisé pour régler les futurs problèmes démographiques et génétiques. Si nous nous basons sur les renforcements précédents, il apparait qu’un minimum de 4 femelles permettrait de conserver ce noyau d’un point de vue démographique sans assurer la composante génétique de la viabilité. Tout accroissement de ce nombre serait très souhaitable pour se rapprocher des projections de viabilité optimales pour ce noyau.
Nous recommandons que ces renforcements soient effectués très rapidement et de manière la plus synchrone possible. Ainsi, dans le cas du renforcement de 13 individus, nous recommandons une réintroduction de 3 à 4 individus tous les ans, soit un renforcement échelonné sur 3-4 ans. Dans le cas du renforcement de 4 individus, ces 4 individus doivent être réintroduits la même année.
L’urgence est ici basée sur l’incertitude maximum du devenir à court terme de cette population où il n’y a que deux mâles.
Renforcement des deux noyaux
Idéalement, en plus du renforcement de 3 mâles et 10 femelles dans le noyau occidental, un renforcement de 1 mâle et 3 femelles est conseillé dans le noyau central pour réduire les risques futurs en terme démographique et génétique. Le nombre minimum de renforcement pour le noyau occidental serait toujours de 4 femelles et pour le noyau central de 2 femelles pleines (ce qui rend moins nécessaire le lâcher d’un mâle).
Nous recommandons ici les mêmes stratégies que le scenario précédent concernant le noyau occidental, l’urgence étant en priorité pour ce noyau.
Pour le noyau central, l’effet de la consanguinité, important à terme mais n’ayant pas un effet aussi immédiat que le risque démographique encouru dans le noyau occidental, nous recommandons de réintroduire dans un horizon de 4 ans, soit un mâle et 3 femelles, soit deux femelles pleines. Dans ce dernier cas, nous recommandons une réintroduction simultanée pour diminuer le risque d’infanticide.
Au-delà de l’urgence d’agir sur le noyau occidental, tout retard sur le renforcement du noyau central entraînerait la perte des effets bénéfiques de la synergie des opérations menées sur les deux noyaux. En d’autres termes, tout retard nécessitera une probabilité d’intervention ultérieure beaucoup plus importante.
L’évolution de la viabilité en fonction des différentes stratégies est résumée dans le tableau 5.
Tab 5: Evolution de la viabilité en fonction des stratégies
Un suivi annuel de la population d’Ours bruns à niveau global de la population (France et Espagne) doit être effectué suivant le standard actuel.
Dans le cas du renforcement optimal, la stochasticité démographique étant inclue, il n’y aura normalement pas besoin de nouveau renforcement car la population va pouvoir croître naturellement. Néanmoins, la moyenne du taux de croissance et le bilan des actions à mener devront être réalisés tous les 5 ans.
Dans le cas du renforcement minimal, un suivi régulier avec remplacement rapide des individus lâchés en cas de mortalité est indispensable. Dans les deux cas, le succès de la phase d’installation sera déterminé par l’entrée en croissance avérée.
Le succès de la phase de croissance sera apprécié par la valeur du taux de croissance relativement au taux de croissance asymptotique de l’espèce.
La viabilité à long terme sera mesurée lors de la phase de régulation qui permettra de réévaluer la capacité d’accueil de l’habitat pour l’espèce.
Parallèlement à la nécessité d’un suivi de la population d’Ours bruns et sans remettre en cause la qualité des scenarii et l’ordre de grandeur des propositions faites, nous recommandons d’affiner les projections, notamment sur les interactions démo-génétique, afin de mesurer précisément l’impact de scenarii intermédiaires sachant que les scenarii optimum et minimum sont assis sur une information suffisamment robuste.