La Catalogne sud, en Espagne, envisage d’introduire plusieurs ours dans le Parc Naturel d’Alt Pirineu dans l’Alt Aneu. Dans le contexte économique que nous connaissons, la situation est pour le moins étonnante.
En nous communiquant ci-dessous un document: "La grande prostitution des ours en Catalogne … et ailleurs", Bruno Besche Commenge, porte-parole de la coordination pyrénéenne ADDIP nous explique: «En Catalogne, une supercherie consiste à faire croire que dans les Pyrénées, avec l’ours, c’est la nature qui triomphe. En réalité il s’agit, notamment dans le contexte économique actuel, d’une opération commerciale visant à transformer l’animal en «produit d’appel touristique» et «avec bénéfices». C’est ce qui était envisagé dans les Asturies autour d’un projet similaire en 2006 («rendre l’ours productif»). Les travaux scientifiques récents concernant la population d’ours dans le massif cantabrique, conduisent à analyser ce qui se passe aujourd’hui avec l’ours dans les Pyrénées, pas uniquement catalanes, comme une parfaite supercherie scientifique et écologique». Et il va plus loin dans son analyse en précisant: «Les récents documents de travail remis aux participants lors de la dernière réunion européenne sur les grands prédateurs, à laquelle l’ADDIP a participé, montrent eux aussi pourquoi l’opération ours / Pyrénées est une telle supercherie».
Le 21 mars dernier, la Généralité de Catalogne a présenté à Llavorsi dans le Parc Naturel de l’Alt Pirineu les «résultats du suivi de l’ours brun en 2012» (voir traduction du communiqué). Il y fut question d’un projet d’exploitation des ours sur lequel les journalistes ne sont pas trompés: «La généralité fera la promotion des ours comme produit d’appel touristique» (Agence Europa Press de Catalunya), ou «Les autorités veulent convertir l’ours en produit d’appel touristique» (Dialogo libre diario digital, voir aussi La Vanguardia).
«Produit d’appel», en espagnol «reclamo turistico» (le mot n’est pas réductible au français «publicité», il indique quelque chose qui miroite, attire, son sens premier est d’ailleurs appeau pour le gibier). Au mois d’août 2012 déjà, le directeur du Service Biodiversité et Protection des Animaux de la Généralité de Catalogne, Jordi Ruiz, avait agité la sonnette du tiroir caisse en parlant de «retour sur investissement de l’ours» ( «El retorno de los osos con beneficios» le retour des ours avec des bénéfices).
On trouvait exactement la même idée et les mêmes mots (reclamo turistico) en 2006, dans une étude de la géographe Celia Clotes, «Estudio ecoturistíco del oso pardo»
(1), financée par deux institutions catalanes, l’association conversationniste DEPANA et la banque Caixa de Catalunya (2). Exploiter l’ours était le
but visé, mais pas partout: «L’ensemble des Pyrénées ne peut pas exploiter ce même schéma touristique, mais c’est une opportunité très intéressante pour des enclaves déterminées».
Il y était déjà envisagé de «créer de nouvelles infrastructures pour la conservation du milieu», sans doute sur le bon vieux principe «construisons, construisons, c’est bon pour
la nature»!
Hors les «enclaves déterminées», il restait aux autres zones du massif, catalanes ou frontalières, qui ne peuvent pas «exploiter ce schéma», à se débrouiller avec l’ours et ses
inconvénients. Belle manifestation de solidarité pyrénéenne…
Cette prostitution de l’ours non seulement n’a rien à voir avec l’alibi écologique qu’elle exhibe, nous allons voir pourquoi, mais elle en est même l’inverse exact comme le montre
ce qui se passait dans les Asturies, comme par hasard à la même date, 2006, où le banque d’investissement et l’association écologiste catalanes (mariage de la carpe et du lapin)
souhaitaient une telle exploitation. L’histoire mérite d’être racontée, c’est la même qu’actuellement on met en scène dans la zone du Parc de l’Alt Pirineu.
Palomero García est, dans les Asturies, le Président de la Fondation Oso Pardo. Le 17 juin 2006, sous le titre «Epitaphe», un article du journal asturien El comercio débutait
ainsi: «Le jour où Monsieur Palomero a laissé échapper cette phrase lapidaire: «Il faut rendre l’ours productif /Hay que poner al oso a producir/», il nous a clairement montré
qu’il dirigeait non pas une ONG conservationniste mais une entreprise qui cherche uniquement à rentabiliser l’ours». (3) Palomero avait avancé cet objectif dans
une interview précédente. VRP de l’ours machine-à-sous , il se déplace beaucoup pour développer cette idée. Par exemple en Navarre, Vallées de Roncal et de Salazar, où il
expliquait en 2008 comment «utiliser le potentiel touristique de l’ours» / Diario de Navarra – 24 avril 2008/.
Cette volonté d’exploitation de l’ours avait entraîné, le 18 mai 2006, dans El Comercio, une verte réaction du biologiste du Conseil Supérieur de Recherche Scientifique espagnol,
Javier Navez, spécialiste de l’animal. Il faut la citer longuement:
«L’arrivée de touristes dans les zones où vivent les ours bruns entraînerait un sérieux péril pour l’espèce, et nous en avons des preuves scientifiques. Selon Javier Naves: «des études réalisées dans les années 90 ont montré cette influence sur l’habitat de l’espèce à partir de suivis radiométriques, on a pu voir comment, dans les zones où affluaient les touristes en fin de semaine, les ours se déplaçaient deux fois plus qu’ils ne le faisaient, aux mêmes périodes, dans des zones isolées.
Aussi le biologiste rejette-t-il totalement la proposition faite par la Fondation Oso pardo d’organiser des visites guidées dans la zone. Naves trouve «graves et préoccupants, non seulement l’idée elle-même, mais le fait qu’elle vienne de qui elle vient: une personne ayant des responsabilités en matière de conservation. D’une entreprise consacrée au tourisme, je n’aurais pas été surpris».
Pour le Parc de l’Alt Pirineu concerné par l’actuel projet catalan, la réalité n’est pas davantage écologique, mais purement économique: transformer l’ours en machine à sous dans
certains secteurs que le développement général à l’américaine de la Catalogne a de fait marginalisés économiquement et socialement.
A totalement fragmentés aussi avec d’un côté des zones de développement touristique intensif peu respectueuses du milieu, de l’autre des quasi déserts, et quelques exploitations
agricoles «devenues aujourd’hui simplement les témoins du passé» (4), et l’article citée ajoute que les nouvelles activités qui étaient censées redynamiser la
situation «n’ont pas réussi à atteindre cet objectif et souvent ont été bien loin de contribuer à l’émergence d’un nouveau modèle de développement qui aurait œuvré à la cohésion
sociale et territoriale de la zone pyrénéenne». L’ours alors va produire des miracles sans doute!
Pour les quelques ours concernés, chargés à présent du boulot, les risques sont les mêmes que dans les Asturies, en pire si l’on prétend leur assurer une viabilité normale et
naturelle. Mais ce n’est pas le cas, cette viabilité biologique et écologique n’est pas du tout le but parce que de toute façon ce but est impossible.
Il est clair en effet que pas davantage ce Parc que quelque autre «enclave déterminée» comme l’écrivait l’étude de 2006 n’aura jamais un telle population d’ours naturellement
viable, l’ensemble du massif non plus d’ailleurs. Seule une constante intervention humaine et donc un pur artifice permettra à long terme la pérennité des spécimens présents même
si leur nombre augmente: le contraire de cette «nature» mise en vente dont effectivement l’ours ne sera jamais que «un reclamo», un appeau qui imite la réalité pour attirer le
gibier dans son piège…
Le Parc de l’Alt Pirineu s’étend sur 69.850 hectares de Parc Naturel, soit 698 km2. Dans les Asturies une étude menée conjointement par l’équivalent du CNRS espagnol (le SCIS) et le département de génétique de l’Université d’Oviedo vient de rendre publiques ses conclusions. Pour le même Javier Naves (du SCIS):
«Nos ours vivent actuellement sur environ 7.000 km2 et la disponibilité pourrait être de 15 ou 18.000, tout ceci entre guillemets parce que cela dépend de la façon dont va évoluer la tolérance humaine à l’égard de cet animal. Mais à l’avenir cette réalité va ou peut être le facteur limitant pour la croissance de la population. Quand nous parlons de ces km2 nous ne pouvons alors envisager davantage que quelques centaines d’ours. Nous nous situerions toujours dans une fourchette qui, sur la plan de la biologie d’un carnivore, serait un facteur limitant.» (5a)
Et il ajoute que l’enthousiasme actuel sur le croissance du nombre d’ours dans les Asturies (autour de 200) retombe aussitôt lorsque les scientifiques avancent le nombre qui serait nécessaire pour arriver à une véritable viabilité naturelle: «Mais si l’on commence à demander où va-t-on mettre 2000 ours, aussitôt le murmure se transforme en silence et les gens commencent se lever de leur chaise, surtout lorsqu’il s’agit de gestionnaires et d’administratifs. Il ne s’agit plus d’une poignée d’animaux dont nous sommes capables de prendre soin, nous parlons alors d’une population capable de vivre par elle même sans risque d’extinction.»
2000, le chiffre peut étonner. C’est celui avancé par les généticiens qui ont participé à la même étude (5b):
«le nombre d’ours détecté (entre 195 et 200) rend la population viable à court terme mais pas à moyen ni long terme. Pour que disparaisse le risque d’extinction il faudrait arriver à 500 reproducteurs. Les chercheurs ont calculé que dans une population d’ours un quart seulement des bêtes est en état de procréer. La population des ours cantabrique serait donc sauvé lorsqu’elle atteindrait au moins les 2000 individus.»
Avec Javier Naves et d’autres spécialistes, notamment cinq généticiens dont elle-même, Ana Domínguez avait en 2008 déjà coécrit un article dans la revue à comité de lecture «Conservation genetics» où était indiqué qu’il était inexact de dire que 50 individus suffisaient pour la survie de l’espèce (6). C’est notamment le chiffre avancé pour les Pyrénées par l’équipe ours de l’ONCFS. Sur la base des chiffres sûrs alors disponibles pour le massif cantabrique (une centaine d’ours) cette étude soulignait que cette population était «loin du nombre minimum pour assurer sa survie à court terme». Pour le court terme, ce n’est plus le cas avec le nouveau recensement officiel, proche de 200, mais à moyen et pire encore long terme cela ne suffit donc pas à assurer cette viabilité naturelle.
Mais les ours asturiens n’ont rien à voir avec ceux réintroduits dans les Pyrénées et destinées à devenir «reclamo turistico», source de bénéfices. C’est l’Europe elle même qui le dit et notamment le Groupe de travail sur les grands carnivores. J’ai participé en janvier à Bruxelles à une réunion de travail de ce groupe au nom de l’ADDIP. Les documents de travail envoyés aux participants sont très clairs (7).
Dans le massif cantabrique, il s’agit d’une population «autochtone», aux caractéristiques particulières, dont l’isolement et l’impossibilité à atteindre sa viabilité à long terme nous venons de le voir, rend nécessaire une action humaine volontariste, justifiée par ce caractère «autochtone», spécifique, qui la rend unique. Rien de tel dans les Pyrénées où, la souche locale disparue, la population actuelle «consiste en ours issus de la population Dinaric-Pindos» qui s’étend de la Slovénie au Nord de la Grèce et au Sud. En Albanie par exemple où l’on trouve les mêmes ours «la localisation géographique est cruciale pour assurer la connectivité de ces populations Dinaric-Pindos». Il y a donc là un ensemble biogéographique cohérent, en continu, et diffusion à l’intérieur. L’inverse de la situation pyrénéenne pour la même population, où «pas de possibilité de rétablir la connectivité à court terme». A long terme non plus sans aucun doute! Et il serait alors fondé d’écrire que sa «localisation géographique» est totalement inutile et inapte à assurer cette même connectivité.
Javier Naves considère que dans le contexte humanisé du massif cantabrique, les animaux devront rester «sous assistance permanente» (8). Cela se justifie, redisons-le, pour cette population spécifique, et explique le refus du croisement avec des ours d’origine différente. Ce n’est pas du tout en ce sens que peut être analysé le devenir de la sous population Dinaric-Pindos pyrénéenne. Les chiffres de la Commission, montrent que ces exilés ne représentent que 0,73% de cette population et qu’elle n’a nulle besoin d’eux pour se porter très bien: elle diffuse largement dans son aire de répartition naturelle. Ces même chiffres montrent qu’ils ne représentent en outre que 0,12 % des ours de l’Europe. Strictement rien du tout au niveau mondial.
C’est totalement ridicule. L’alibi écologique, celui du «sauvetage» alors qu’il ne s’agit que d’une infime fraction d’une population par ailleurs en très bonne santé? Il faut quand même être très naïf ou totalement aveuglé par l’idéologie de l’ensauvagement pour y croire. La Généralité de Catalogne n’est pas connue pour sa naïveté, elle a l’honnêteté d’afficher le programme: «reclamo turistico», «retorno de los osos con beneficios».
La grande prostitution des ours…
B. Besche-Commenge – ASPAP/ADDIP – 27 mars 2013
(1) Etude écotouristique de l'ours brun en Catalogne (2011)
(2) En 2009, quand la crise bancaire explosait, le magazine économique espagnol Expansión titrait le 28 mai:
«CajaSur, Caixa Catalunya et Caja Madrid, les plus affectées par la crise».
(3) Tir groupé contre le projet dans plusieurs articles en 2006 dont:
«Epitafio»
«La presencia humana obliga a los animales a abandonar su lugar habitual / La présence humaine oblige les animaux à quitter leur lieu habituel»
«Divisiòn en el sector turìstico de Somiedo»
(4) Carles Guirado González, Antoni F. Tulla i Pujol, Entre l'abandonament i l'ús intensiu del territori? Sistema d'assentaments i gestió del territori en espais de
muntanya. El cas de l'Alt Pirineu Català, Documents d'anàlisi geogràfica, Vol. 56, Nº 3, 2010 , págs. 607-623
(5a - 5b) voir La Nueva España,
«Desmontando al oso / Déconstruire l'ours», 7 février 2013, et déjà en 2011
«La Cordillera cuenta con 200 osos y se aleja el peligro de extinción «a corto plazo» avec les analyses des mêmes scientifiques.
(6) Trinidad Pérez et alii, Non-invasive genetic study of the endangered Cantabrian Brown bear (Ursus arctos), Conservation Genetics - © Springer Science+Business
Media B.V. 2008
(7) dont Status, management and distribution of large carnivores – bear, lynx, wolf & wolverine – in Europe DECEMBER 2012 – Part 1- Part 2- Pas en ligne, voir extraits
joints et traduits pour Espagne, France, Slovénie.
(8) interview dans La Nueva España 02/11/2005 - Nº 1080 – Asturies. (n’est plus en ligne)