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Nous, Syndicat Ovin de l’Ariège, ainsi que nos partenaires cosignataires de la présente, ne participerons pas à la "Table ronde sur la saison d'estive 2017", convoquée par la Préfecture de l’Ariège, essentiellement pour deux raisons qui nous paraissent fondamentales. L’une à la fois sur le fond et d’ordre légal, l’autre quant aux mesures dites de protection. Ci-dessous l'argumentaire et les références sur lesquelles nous nous fondons.

A) – Sur le fond et ordre légal

Il faut ici rappeler très rapidement l’origine du problème et, en la matière, la responsabilité de l’État.

Les premières importations d’ours slovènes ont eu lieu dans le cadre de programmes Life Europe. En 1993, LIFE93 NAT/F/011804, bénéficiaire Ministère de l’Environnement, pour une contribution UE de 2.013.900 €, et LIFE93 NAT/F/011805, bénéficiaire ONC, UE = 824.500 €. En 1995, LIFE95 NAT/E/001164, bénéficiaire Ministère de l’Environnement, UE = 364.900 €.

Tous ces programmes débutent ainsi, non traduits par l’UE, comme tous les documents UE cités ensuite: «Until recently a remote and inaccessible area, the Pyrenees represented one of the last refuges in Europe for some of our most spectacular and endangered mammals and birds, including the brown bear (Ursus arctos) /etc./» = Jusqu’à récemment zone isolée et inaccessible, les Pyrénées sont un des derniers refuges d’Europe pour quelques uns de nos plus spectaculaires mammifères et oiseaux en danger dont l’ours brun…

Un tissu de mensonges. L’ours n’a jamais été une espèce en danger en Europe, mais bien plus grave, l’image donnée des Pyrénées, une sorte d’Amazonie des cimes, était à la fois d’une rare stupidité pour un milieu dont on sait comment depuis le néolithique le pastoralisme l’a modelé, et d’un mépris absolu pour celles et ceux qui continuaient ce travail.

Ministère de l'Environnement et Office National de la Chasse (ONC) ont de fait construit cette image du massif, sans laquelle les ours n’auraient jamais été réintroduits comme la suite le prouve. Il faut rappeler que les programmes Life sont attribués ou non, suite à proposition des États membres et que, d’après Directive Habitats, art. 22, les réintroductions ne sont pas obligatoires et si les États membres en décident, elles ne peuvent avoir lieu que «après consultation des populations concernées».

- Conséquence:

En 1996, un autre programme, LIFE96 NAT/F/004794, remettait les pendules à l’heure: «la réintroduction de 3 ours supplémentaires a été abandonnée suite à une enquête d'opinion auprès des représentants locaux et des parties prenantes.» Ce qu’en 2011 un bilan de l’ensemble des programmes Natura 2000/LIFE-Europe résume ainsi: «un second plan de réintroduction a été annulé à cause de l’opposition des populations locales» (1).

En juin 2013 encore , confirmation de ce refus européen de réintroduire parce que les Pyrénéens ne sont pas d’accord: «Une forte opposition locale peut signifier que des projets de nouveaux lâchers risquent de ne pas obtenir le feu vert. /…/ La population pyrénéenne d'ours bruns reste donc menacée, et seul un changement important dans les attitudes locales à la présence de l'ours dans les Pyrénées peut la sauver.» (2)

Première responsabilité de l’État, de l’ordre du mépris pour les Pyrénéens, une image du massif mensongère, et les subventions européennes qui suivent. C’est peu après que l’ONC devint ONCFS…

La seconde responsabilité est liée: devant ce refus de l’Europe dû aux oppositions locales, la France décida seule cette fois des réintroductions de 2005. Elle le fit en connaissance de cause quant au rejet local: l’Europe elle-même l’entérinait, on ne pouvait pas dire qu’il n’existait pas, on décida de passer outre.

Cette double responsabilité engage donc directement l’État. Or, sur le plan légal à présent, un engagement a été clairement formulé. Le Code Rural modifié 2010 a repris l’ancien article L-113-1 (devenu art. 41) concernant le rôle essentiel du pastoralisme pour sa «contribution à la production, à l'emploi, à l'entretien des sols, à la protection des paysages, à la gestion et au développement de la biodiversité», en y ajoutant un alinéa 8 par lequel:

- «Le Gouvernement s’attache à: /…/

8° Assurer la pérennité des exploitations agricoles et le maintien du pastoralisme, en particulier en protégeant les troupeaux des attaques du loup et de l'ours dans les territoires exposés à ce risque.»

C’est donc Légalement au Gouvernement d’Assurer cette Protection, Pas à Nous, Eleveurs Bergers.

Nous nous occupons de faire pâturer nos bêtes, de leur choisir les parcours en fonction de paramètres que nous maîtrisons, de les soigner. La protection contre ours et loup, la loi impose au Gouvernement de s’en charger. Et d’autant plus dans le cas de l’ours que sa responsabilité est totalement engagée depuis le début dans une opération qui n’aurait jamais eu lieu si l’UE avait été informée des oppositions locales.

B) – Les mesures de protection L’incompatibilité ours-pastoralisme était connue dès les premières réintroductions.

En juin 1995, le Conseil National de Protection de la Nature (CNPN) se réunit pour voter à leur propos. Paradoxalement ce sont les représentants des associations de protection de la nature qui votèrent contre, à cause justement de la prédation. Ce à quoi pour le Ministère, M. Gilbert Simon, acteur majeur du processus et de ses mensonges, répondit: «Tant qu’il y aura des moutons, il y aura des ours pour les manger. Les bergers doivent accepter cette coexistence douloureuse moyennant une indemnisation.» (3)

Petra Kaczensky est experte auprès de la Commission européenne pour les grands prédateurs. Dès 1999, dans la revue scientifique URSUS, elle écrit: «Il n’y a pas d’exemple en Europe où des systèmes de pâturage extensif avec de faibles pertes cohabitent avec des populations viables d’ours et de loups dans le même espace» (4). Et à propos de la mesure soi-disant clef de protection des troupeaux, le parcage nocturne dans des clôtures, en Slovénie: «l’analyse des prédations montre de plus grands dégâts lorsque l’ours attaque des bêtes dans de telles clôtures que lorsqu’elles pâturent librement».

Pour les Pyrénées, en 1989, Laurent Nédélec publiait une étude, réalisée pour le Parc National des Pyrénées, concernant l’impact et les formes de la prédation sur le bétail des derniers spécimens d’ours alors encore présents à l’ouest du massif. La conclusion était sans appel: «De toutes ces données, il ressort qu’aucun type de gardiennage n’est dissuasif quand l’ours a décidé d’attaquer même s’il préfère éviter la proximité humaine. Les patous, les clôtures électriques ne l’intimident pas». (5)

Ce qui se passe cette année sur l’estive d’Arréou confirme ces analyses: l’ours s’adapte et rien ne l’intimide. Confirmation versant catalan où en juillet 2017 un ours a attaqué à l’intérieur d’une enceinte protégée par une clôture électrique, ce qui «préoccupe fortement» les responsables du programme ours (6).

Cette incompatibilité reconnue conduisait en 2000 le Plan d'action pour la conservation de l'ours brun (Ursus arctos) en Europe, à cette indication: «dans les régions où l’élevage /…/ risque de menacer la sauvegarde de cette espèce, il convient de recourir à des techniques efficaces de garde, ou d’abandonner l’élevage pour d’autres modes de production compatibles avec la conservation de l’ours.» (7)

On ne peut que noter la formule: c’est l’élevage qui risque de menacer l’ours, et c’est lui qu’il faut abandonner, lorsque les techniques de garde ne suffisent pas à assurer la cohabitation, ce qui correspond très exactement à la situation générale décrite par Petra Kaczensky.

Cette situation, qui reviendrait à transformer une partie du massif en cette «zone isolée et inaccessible» qu’inventaient Ministère et ONC en 1993, est reprise dans le dernier rapport officiel sur l’ours. Rapport Laurens-Ribière, 2008: «améliorer la quiétude de l’ours» (p. 31), «envisager l’abandon des estives les plus dangereuses (pente, escarpement…)», «encourager à moyen terme la reconversion d’une partie de l’ovin viande vers l’ovin lait» (p. 43). Et la zone retenue pour ce programme concerne directement Couserans et Haut-Comminges, carte page 20

C) - Conclusion

Ce contexte donne tout son sens à la situation actuelle des estives, pas seulement couserannaises ni ariégeoises puisque des problèmes aussi graves se posent notamment dans les Hautes-Pyrénées où, là aussi les attaques continues ont conduit les éleveurs à des descentes précoces de leurs troupeaux.

Mensonge organisé aux plus hauts niveaux de l’État lors des premières réintroductions, passage en force lors des suivantes alors même que l’UE entérinait le refus des populations concernées (art. 22 de Directive Habitats), connaissance dès l’origine de l’incompatibilité ours/troupeaux, résolution du problème par l’abandon d’estives où ce sont les troupeaux qui sont une menace pour l’ours, vous comprendrez sans doute, Madame la Préfète, que tout en vous remerciant de votre invitation et votre engagement sur ce dossier, nous en soyons arrivés à un point où il nous est impossible de continuer, comme nous l’avons fait en vain depuis 20 ans, de participer à une énième table ronde qui ne peut conduire, dans ce contexte, qu’à effectivement tourner en rond.

L’État a créé le problème en 1995, l’a accentué en 2005 alors que l’UE ne l’y obligeait pas, l’alinéa 8 de L41 du Code rural oblige le gouvernement à se charger de la protection des troupeaux. C’est en l’affaire d’autant plus normal que ce n’est pas à la victime mais au responsable de régler le préjudice qu’il a créé.

(1) LIFE and European Mammals: Improving their conservation status, © European Union, 2011 – p. 42

(2) LIFE and human coexistence with large carnivores, European Commission and the Environment Directorate-General, © European Union, 2013 – pp. 14-16.

(3) CNPN - Séance du 7 juin 1995: - information sur le projet d’introduction de l’ours dans les Pyrénées Centrales. Source: archives nationales, côte CAC: 20070642.

(4) Kaczensky, Petra., Large Carnivore Depredation on Livestock in Europe. Ursus 11:59-71. 1999.

(5) L. Nédélec, L’ours brun (Ursus arctos, L.) dans les Pyrénées Occidentales: prédation sur le bétail, évolution de la population, approche chronogéographique des dégâts - Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Rennes – 27 septembre 1989 - Archives nationales – Liasses non numérotées.

(6) Lavanguardia du 17 juillet 2017

(7) Jon E. Swenson, Norbert Gersti, Bjørn Dahle, Andreas Zedrosser, Action plan for the conservation of the Brown Bear in Europe (Ursus arctos) (Nature and Environment No. 114) (2000)

FPA
FDSEA
JA
Conf Paysane
CR
Syndicat ovin

"Après avoir lu ce communiqué, B. Besche-Commenge nous envoie cette précision à propos de ancien article L-113-1 (devenu art. 41) du code rural.

"La loi indique que le Gouvernement s'attache "à assurer le maintien du pastoralisme", il y a là obligation de moyens pas de résultat; pour cet objectif, s'il fait ce qu'il faut dans les règles de l'art et que ça ne marche pas, il n'est pas responsable. Mais ce résultat il doit essayer de l'atteindre "en particulier en protégeant les troupeaux", et là on est dans une injonction de résultat, il doit arriver à cette protection et si malgré ça le pastoralisme ne se maintient pas, il a fait ce qu'il devait faire sur ce plan. Comme un médecin (exemple toujours cité pour moyens/résultats) qui s'attache à sauver le malade, en mettant en œuvre les techniques appropriées, "avec science et conscience". Si ces techniques sont utilisées, pas de reproche en cas d'échec. L'Etat ne s'attache pas à défendre les troupeaux, c'est le prérequis, le résultat qu'il doit atteindre "en particulier" pour tenter d'arriver au but: "maintien du pastoralisme".

"Je reprends la loi: "s'attache à … assurer la maintien du pastoralisme, en particulier en protégeant les troupeaux …", ce sont bien deux niveaux différents. L'objectif d'une part, et de l'autre l'un des résultats qu'il doit atteindre (pas le seul mais celui-là est précisé d'où "en particulier") qui permettra si l'objectif est raté de dire: ce résultat au moins qui lui était imposé il l'a atteint. Si les troupeaux sont attaqués, il a tort, la loi ne dit pas "en essayant de/s'attachant à protéger".