Déjà, dans les années 1990 et avant, l'idée de risque d’hybridation existait en Italie. En 1996, Laurent Garde du CERPAM, mettait ce risque en évidence pour la France. Il concluait son rapport: «L'hybridation, présentée comme une menace importante pour l'avenir du loup italien, ne semble donc pas être établie par les tests génétiques cités ci-dessus. Des clarifications de la part des spécialistes apparaissent là encore nécessaires». Il n’y a jamais eu de clarification et le loup italien reste la référence. Sommes-nous face à une référence hybride?
Les données généralement admises en Europe sont issues de Boitani (1983 in DELIBES 1990; et 1992): on compterait en Italie 600.000 chiens errants et 80.000 chiens ensauvagés. Ces données sont issues d'enquêtes systématiques auprès des garde-chasse; les chiffres transmis par ces derniers ne semblent pas avoir été soumis à un recoupement par comptage sur quelques secteurs-échantillons.
A partir de ces chiffres, et en prenant en compte l'ensemble du territoire italien, on peut évaluer que ces chiens redevenus sauvages, craignant l'homme, se nourissant et se reproduisant dans la nature auraient donc à eux seuls, dans leur aire d'occupation, une densité environ 25 fois (si on considère qu'ils occupent toute l'Italie, hors zones intensives et urbanisées) à 50 fois (si on considère qu'ils ne sont abondants qu'en Italie du Sud) plus importante que la densité démographique des loups dans les zones à loups, alors même qu'ils sont en compétition sur le plan du territoire, de la nourriture et de la reproduction (risque d'hybridation).
Dans cette situation de compétition entre ces deux canidés, c'est surtout la fréquence de l'hybridation que Boitani considère comme une menace majeure sur l'avenir du loup.
L'ensemble de ces données parait contradictoire avec d'autres études plus récentes de chercheurs italiens, allemands et roumains.
En ce qui concerne l'abondance et la répartition des chiens ensauvagés, Marsan (1994) écrit à propos du Nord de l'Italie (région de Gênes): "Des années de contrôles nocturnes et
diurnes nous ont permis de vérifier que quasi-toujours, les chiens errants ont un propriétaire. Dans la récente campagne de capture des renards, sur des milliers de tentatives,
nous n'avons capturé qu'un seul chien errant". Rareté de chiens à l'état sauvage qu'il explique ainsi: "les effets induits par une contre sélection millénaire opérée par l'homme
sur le loup pour obtenir le chien produisent une moindre espérance de vie et une plus grande difficulté de reproduction, sans compter les rapports de compétition alimentaire avec
le loup et le rapport de prédateur de la part du loup". De même Meriggi et al. (1993), dans la région de Gènes, notent que "le loup est la seule espèce de carnivore de grande
taille présente dans la zone: la présence de chiens perdus ou sauvages n'a jamais été établie ni par nous ni par les garde-chasse ni par les garde - forestiers". Ces deux
observations tendent à montrer que la présence des chiens ensauvagés ne concerne pas le Nord des Appenins.
En Roumanie Promberger et al. (1996) écrivent: "les loups chassent les chiens errants et n'hésitent pas à les tuer et à les manger, ce qui explique l'absence de chiens errants
éloignés des habitations". Données confirmées par OVIDIU et PETRE (comm. pers.) qui signalent le cas d'un loup qui avait attaqué et mangé un chien de village dans le jardin de son
propriétaire.
Pour eux, comme pour Marsan cité plus haut, le chien ensauvagé ne peut donc pas s'établir dans la zone du loup; et la confrontation chien ensauvagé/loup suscitée par la colonisation de nouveaux territoires par le loup tournerait donc à l'avantage de ce dernier.
En conséquence, on peut raisonnablement penser que les chiffres proposés par Boitani et encore souvent repris aujourd'hui dans la littérature sont fortement surestimés et que la menace sur le loup représentée par ces chiens ensauvagés n'apparaît pas confirmée par les autres auteurs. Il paraîtrait d'ailleurs étonnant qu'un autre canidé redevenu sauvage et de gabarit proche du loup puisse s'établir avec des densités jusqu'à 50 fois supérieures à celles du loup, alors même que la densité du loup en Italie apparaît comparable à celle des autres pays de l'Europe méditerranéenne et balkanique.
Pour Marsan (1994), d'ailleurs, le rôle du loup lors des attaques sur les troupeaux pourrait avoir été minimisé... au détriment peut-être de la protection du loup: "la tendance à attribuer les dégâts provoqués par le loup aux chiens sauvages, même motivée par le souci d'améliorer l'image du loup (...) se traduit par une explicite justification de tuer illégalement les canidés présents, et tant pis si ceux-ci étaient des loups." Une clarification s'impose donc de la part des spécialistes du loup:
En ce qui concerne l'hybridation, les analyses génétiques de Fico et Lorenzini (1995) montrent que "les ressources génétiques des populations de loups de l'Italie Centrale sont intactes. Les différences génétiques entre loup et chien ne suggèrent pas de croisement substantiel".
L'hybridation, présentée comme une menace importante pour l'avenir du loup italien, ne semble donc pas être établie par les tests génétiques cités ci-dessus. Des clarifications de la part des spécialistes apparaissent là encore nécessaires.
Auteur: Laurent Garde
Source: Extrait du rapport du CERPAM -
Loup et pastoralisme - La prédation et la
protection des troupeaux dans la perspective de la présence du loup en Région Provence Alpes Côte d'Azur - Convention d'étude avec le Ministère de l'Environnement n° 48/96 du 3
0 août 1996
Les chercheurs et les scientifiques témoignent. Interview de Laurent Garde chercheur au CERPAM, après la conférence de presse de l'association Eleveurs et Montagnes du 28 novembre 2014 à Manosque.