Le loup est de retour en Ariège. On a trouvé des traces ADN attestant sa présence dans la vallée d'Orlu, près d'Ax-les-Thermes. Une présence qui ne va pas sans poser quelques problèmes…
Avis au Petit Chaperon Rouge. Si elle avait pour habitude de passer du côté d'Orgeix et d'Orlu, non loin d'Ax-les-Thermes, en Ariège, il faudra qu'elle se méfie désormais: son meilleur ennemi, le loup, l'attend au coin du bois. Un loup qui revient tout à la fois de la nuit des temps et des Abruzzes italiennes…
Car cela fait plus d'un siècle que l'on n'avait pas vu la queue d'un «leu». Impitoyablement traqué depuis Charlemagne et ses compagnies de louveterie, la bête a résisté aux escopettes, pièges, et à tous les poisons (aconit tue-loup, éponges frites et bulbes de colchique, lichen de mélèze, ciguë aquatique, noix vomique et strychnine) pendant des siècles. Ce n'est qu'au XIXe siècle, avec des fusils capables de tuer à plus de 100 mètres, que l'espèce a fini par décliner. Au début du XXe siècle, il n'y avait plus de loups dans les Pyrénées. Jusqu'à 1992, date officielle de la réapparition du loup en France, on n'a aperçu et tué qu'une cinquantaine de spécimens dans tout l'Hexagone. Sans doute les tout derniers survivants de l'espèce, à moins qu'il ne s'agisse des premiers colonisateurs venus déjà d'Italie. Mais à l'époque, personne ne se souciait vraiment du loup. On avait tout simplement éradiqué un cauchemar collectif, qui hantait l'Occident depuis la nuit des temps. Le Grand Méchant Loup avait vécu.
Mais depuis quelques décennies, des considérations environnementales sont venues au secours du loup. Et lorsque celui-ci est revenu dans les Alpes, à peu près un siècle après en avoir disparu, il n'était plus question de vouloir la peau du loup: l'espèce est devenue protégée. On sait que ce retour n'a pas été du goût de tous les éleveurs des Alpes. Ainsi tout récemment, un loup, portant une trace de balle sur le flanc, a été retrouvé mort le 14 décembre, dans l'étang Malin, dans l'Isère. Il était enfermé dans un sac plastique lesté. Une exécution qui témoigne de toute la haine que suscite encore parfois ce fauve mythique.
Depuis les Alpes, le loup a sauté sur le Massif Central, puis la Montagne Noire, et enfin les Pyrénées où il est arrivé au tout début de notre siècle.
Jusqu'à maintenant, il s'était cantonné aux Pyrénées Orientales. Prudemment. Le nombre des indemnisations versées pour des prédations dues au loup dans ce secteur est extrêmement faible. Mais le loup semble bien décidé à coloniser les Pyrénées. Et pas grand-chose ne pourra l'en empêcher. Ce qui effectivement, risque de poser problème. La grosse différence, cependant entre le loup et l'ours, c'est que, même s'il est protégé, le loup n'est pas directement menacé d'extinction. Alors, s'il exagère, le croque-mouton risque fort de se retrouver un jour face aux louvetiers. Les amis du Petit Chaperon rouge.
Jean-Luc Fernandez et les chasseurs ariégeois s'interrogent sur les capacités de déplacement des loups. Et s'étonnent que ces animaux aient pu venir des Alpes jusque dans les Pyrénées. «Les loups se déplacent très vite et sans problème, répond Gilbert Simon, le président de Férus, association de protection des grands prédateurs (Ours, Loup, Lynx). Tout le contraire de certains animaux, comme les cerfs, qui sont très timides. Même quand on leur construit des passages, au-dessus des autoroutes, par exemple, ils ont du mal à les franchir. Le loup, lui, passe partout où l'homme passe. Les ponts, les routes, rien ne les arrête.»
Les loups qui colonisent l'Hexagone viennent tous des Abruzzes, des montagnes italiennes assez peu éloignées de Rome. En remontant les Appenins, ils ont réussi à atteindre les Alpes italiennes, puis le Mercantour en 1992, date officielle du retour du loup en France. Et de là, ils ont poursuivi leur chemin vers le Massif Central, en traversant la Vallée du Rhône. Certains sont remontés vers le nord et le Puy de Dôme, d'autres ont longé la Montagne Noire et ont gagné les Pyrénées Orientales où ils sont arrivés en 2001-2002. On a même réussi à «tracer» le voyage de certains d'entre eux:
Loups comptabilisés dans les Pyrénées Orientales. Ils y sont arrivés il y a une dizaine d'années en provenance des Alpes, via le Massif Central. Ce sont certainement eux qui ont poussé jusqu'en Ariège.
«Ours, lynx, vautour et maintenant loup: nous avons désormais en Ariège l'ensemble des grands prédateurs!» Jean-Luc Fernandez, président de la fédération de chasse de l'Ariège.
Gilbert Simon, président de Férus (protection des grands prédateurs). La présence du loup est relevée depuis 2002 dans le massif du Carlit. Depuis l'hiver 2007/2008, ce massif est même la seule zone de présence permanente du loup dans les Pyrénées françaises. Or, le secteur de Mérens-les-Vals constitue le versant ariégeois de ce massif. Toutefois, jamais plus de deux individus n'ont été identifiés dans ce massif.
Six individus ont été identifiés génétiquement dans les Pyrénées-Orientales. Parmi ces individus, trois avaient déjà été identifiés, quelques années plus tôt, dans les Alpes: ils se sont donc bel et bien déplacés! Les jeunes loups sont capables de déplacement sur de très grandes distances à la recherche d'un territoire (déplacements de plus de 1.000 kilomètres déjà documentés en Europe). De plus, contrairement à ce qu'on pourrait croire, les populations espagnoles les plus proches se situent au nord-ouest du pays à grande distance des Pyrénées-Orientales. Aussi, la distance est similaire entre les Alpes françaises et les Pyrénées-Orientales qu'entre les Pyrénées-Orientales et les populations ibériques les plus proches.
Ce retour est inéluctable. On ne pourra pas l'empêcher… Mais en ce qui nous concerne, nous, association de protection de la nature, nous pensons qu'il y a déjà assez de difficultés dans les Pyrénées avec l'ours sans en rajouter avec les loups. (1) Car s'il s'implante réellement, le loup risque de causer beaucoup plus de dégâts que le plantigrade. Cela ne veut pas dire que nous sommes favorables au braconnage, ou au recours aux vieilles méthodes pour le faire disparaître: il faudra malgré tout le traiter avec égard.
(1) Ndr: voir la rétractation de Gilbert Simon
Jean-Luc Fernandez est le président de la Fédération de Chasse de l'Ariège et également le président de la toute nouvelle association Ariège Ruralité, destinée à donner la parole au monde rural.
Averti de la présence du loup en Ariège, il monte au créneau:
Oui, c'est une population de loups qui est installée et qui a commis des dégâts sur les secteurs d'Orlu, d'Orgeix, et aux Bézines. Des collègues de la fédération de chasse les ont vus avec leurs jumelles. Et les techniciens de l'Office national de la Chasse et de la faune sauvage ont confirmé cette présence avec des analyses ADN. Les loups sont là de manière continue
Ce qui est inquiétant c'est que nous en Ariège, nous avons désormais la totalité des prédateurs possibles. Le loup, l'ours, le lynx (on en a aperçu) et le vautour! Car cet oiseau n'est plus seulement un charognard, il s'attaque aussi aux bêtes vivantes.
Nous allons d'ailleurs demander des explications au préfet.
Nous souhaitons, par exemple avoir des éclaircissements sur les parcs à loups qui existent dans la région. Nous aimerions comprendre comment ces animaux sont élevés, les entrées, les sorties, ce que deviennent leur progéniture, comment tout cela est géré, par qui c'est contrôlé…
Je ne veux rien laisser entendre du tout et je n'accuse personne. Seulement, nous les chasseurs, nous connaissons bien la nature. Et nous avons du mal à nous imaginer que des loups puissent venir aussi facilement qu'on nous le dit depuis les Alpes ou les Abruzzes, en passant par le Massif Central, comme on nous le raconte. Ainsi, pourquoi est-ce que nous avons des loups qui viennent d'Italie, alors que les loups espagnols eux, ne viennent pas? Ce sont toutes ces questions que se posent les chasseurs et au-delà, le monde rural ariégeois. Nous souhaitons que tout cela soit éclairci.
Dossier Dominique Delpiroux
Source: La Dépêche du Midi du 25 décembre 2010
La dernière réponse de Gilbert Simon au journaliste interpelle. D’ailleurs, sur le blog de Férus, un militant, Michel, interroge l’ex-Directeur de la Nature et des Paysages au
Ministère de l’Ecologie et vice-Président de Férus, le 29 décembre 2010 à 10:46:
«J’aimerai assez avoir des explications sur cette déclaration de Monsieur Simon à la Dépêche du Midi:
«Que pensez-vous de cette réapparition du loup dans le massif pyrénéen?
«Ce retour est inéluctable. On ne pourra pas l’empêcher… Mais en ce qui nous concerne, nous, association de protection de la nature, nous pensons qu’il y a déjà assez de difficultés dans les Pyrénées avec l’ours sans en rajouter avec les loups. Car s’il s’implante réellement, le loup risque de causer beaucoup plus de dégâts que le plantigrade. Cela ne veut pas dire que nous sommes favorables au braconnage, ou au recours aux vieilles méthodes pour le faire disparaître: il faudra malgré tout le traiter avec égard.
Et il précise: «Comment faut-il faire, pour que le loup ne s’implante pas dans ce massif? N’étant pas favorable au braconnage, au poison…FERUS sera-t-il favorable aux tirs à tout va ordonnés par les préfectures? Il y a comme une grosse ambiguïté là!!!»
Après quelques exercices oratoires de Sandrine Andrieux, chargée de communication, parlant de «raccourci journalistique», Gilbert Simon sort de l’ombre et répond lui-même le 5 janvier 2011 à 13:50
«C’est le nouvel an, je participe au dialogue, pour une fois. Quand j’ai été interrogé par le journaliste de «la Dépêche», sur mon portable, en voiture, pendant les courses la veille de Noël, j’ai surtout cherché à écarter deux idées dont je sentais qu’elles planaient sur cette (mini) affaire de loup en Ariège: la première, que cet afflux de loup n’était pas naturel, pas normal. J’ai beaucoup insisté sur la capacité du loup à conquérir de nouveaux espaces, même loin de ses bases et même si certains lui voulaient du mal. J’ai dit que parmi les loups de l’ensemble Catalogne et Pyrénées orientales on avait aussi relevé les gènes d’un loup espagnol (lesquels sont aussi éloignés que ceux des Alpes) et que la colonisation de l’ensemble des Pyrénées n’était qu’une affaire de temps.
«Et la deuxième, que des écolos (dont Ferus) avaient envie de voir des loups dans les Pyrénées, se réjouissaient par avance de cette reconquête au point peut être de la faciliter… Je me suis peut être mal exprimé mais j’ai surtout voulu faire passer le message (vers les ennemis des prédateurs et les neutres)que pour nous la priorité dans les Pyrénées c’était l’ours, et que nous ne scrutions pas sans cesse l’horizon dans l’espoir de voir arriver pleins de loups. Mais j’ai aussi dit dans une conversation qui a été longue que le loup, lui, n’avait nul besoin de nous pour venir et s’installer (contrairement à l’ours, si dépendant de l’homme pour le moment). Le loup fera ce qu’il voudra, et bien entendu Ferus est pour son installation dans tous les milieux naturels où des proies sont disponibles, les Pyrénées n’étant pas un endroit spécial à cet égard. C’est vrai que la question se posera dans les zones où n’existent que de la nourriture fournie par l’homme, bétail et détritus (zones où le loup, comme il l’a fait ailleurs dans le monde, s’installerait sans problème sauf pour les propriétaires d’animaux).
«De mon point de vue les textes finalement sortis dans la presse n’ont pas été mauvais pour le loup, pensons à ce qu’on aurait pu lire de sensationnel dans le mauvais sens. Pour ce qui est de l’intervention sur les loups, je rappelle que la position de Ferus est de ne pas intervenir DU TOUT tant qu’une «population» n’est pas en état favorable de conservation, que cela se traduit concrètement d’après l’UICN par au moins une quinzaine de meutes interconnectées, et que la «population» pyrénéenne (distincte de la population alpine) n’en est même pas à une meute, alors, nous avons le temps de voir…
«Enfin, et vous avez déjà largement parlé du passé, ne faisons pas comme les anti-ours qui extraient dudit passé des bribes déformées pour alimenter leurs polémiques (du genre: je voulais en 1995 déplacer des populations entières pour faire place aux ours!). Si personne, pas plus moi qu’un autre, ne s’est soucié du loup avant la preuve de son arrivée en 1992, nous avons plutôt pas mal réagi juste après. Je rappelle que quand j’étais directeur de la Nature en 1993, avant même les premiers dégâts de la toute première meute, nous avons mis en place un système de protection des troupeaux et d’indemnisation des ovins tués, lancé des campagnes de sensibilisation des habitants à commencer par les enfants, évitant ainsi quasiment toute polémique sur la dangerosité du loup pour l’homme, ce qui n’était pas gagné d’avance, et enfin qu’au premier bruit de braconnage d’un loup j’ai envoyé des brigades de l’ONCFS dans la montagne ce qui a calmé les esprits.
«Et je serai très heureux quand on me rapportera qu’un ours en Ariège a forcé deux ou trois loups à lui abandonner une biche qu’ils venaient de tuer!»
Si le journaliste a employé un «raccourci journalistique», ceci voudrait dire qu’il a déformé et la forme et le fond de la pensé de Gilbert Simon. Et dans ce cas, celui-ci aurait pu user de son droit de réponse. Il ne l’a pas fait et à la place a donné une longue explication sur le blog de FERUS (ci-dessus) très loin de convaincre les personnes au courant du dossier
1/ Le projet de déportation des populations de bergers du Béarn il y a suffisamment de documents écrits qui en atteste autant que de témoins pour témoigner. C’est clairement mentionné dans un ouvrage de Marianne Bernard, «Génération Démagogie» qui n’a jamais été contredit ni attaqué en justice. Il n’y a donc aucune raison de nier l'existence de ce projet.
2/ Le journaliste, particulièrement averti et pas spécialement anti-loups ou ours, n’a très probablement pas fait d’erreur de transcription. Les propos de Gilbert Simon reproduits dans la Dépêche du Midi sont en parfaite adéquation avec le contenu du rapport de sa collègue inspectrice générale de l’environnement, Marie-Odile Guth, administratrice du Parc National des Pyrénées. Il est facile de faire le rapprochement qu’un militant de base ne fera pas.
3/ Gilbert Simon a toujours eu, comme tous les responsables écolos, sur le sujet de l’ours et du loup, un double langage, voir triple: celui qui satisfait les militants, celui qui rassure les éleveurs et les chasseurs pour faire passer la pilule depuis 30 ans et celui de l’administration. Au milieu de tout ceci, il y a toujours une petite part de vérité qu’il faut déchiffrer.
Louis Dollo, le 15 janvier 2011
Au 20 février 2013, nous constatons qu’il n’y a eu, officiellement aucune prédation de loups en 2010, 2011 et 2012. Par contre, il y aurait une dizaine de loups en Sierra del Cadi en Catalogne Sud.