Sous ce titre, le journal parisien "Le Monde" donne l'impression de sortir d'un nouveau monde. "Une nouvelle...", voilà bien un terme un peu ringard pour ne pas dire complètement à côté du sujet alors que ça fait plus de 10 ans que les pyrénéens se battent contre les projets de THT pour défendre leur patrimoine contre les décisions politico-économiques parisiennes. Il serait intéressant que les journalistes du nord de la Garonne prennent conscience que les Pyrénées ça existe.
Alors que la construction d'une ligne électrique entre la France et l'Espagne, décidée en 1982, n'a toujours pas été réalisée, il est aujourd'hui question d'en faire deux. Les populations locales se mobilisent.
Réseau de transport d'électricité (RTE), la filiale d'EDF, déjà chargée du projet de construction d'une nouvelle ligne THT dans les Pyrénées-Orientales, a annoncé, le 2 octobre, à Perpignan, "un second renforcement au centre ou à l'ouest des Pyrénées". L'entreprise publique, gestionnaire du réseau français de transport d'électricité, explique que les gouvernements français et espagnols ont décidé de porter leur interconnexion à hauteur de 4.000 mégawats (MW).
Actuellement, les échanges d'électricité entre les deux pays sont limités à 1.400 MW. Deux lignes THT de 400.000 volts et deux lignes haute tension de 225.000 volts traversent déjà les Pyrénées.
L'idée d'un renforcement de la coopération électrique entre les deux pays n'est pas nouvelle. En 1982, un accord signé entre François Mitterrand et Felipe Gonzales, alors chef du gouvernement espagnol, prévoyait la construction de nouvelles infrastructures. Mais sa réalisation se heurte à de fortes oppositions locales, principalement en France. En 1995, le premier ministre, Alain Juppé, renonçait au passage de la THT dans la vallée du Louron (Hautes-Pyrénées). Depuis 1996, la France paye 12 millions d'euros de pénalités par an à l'Espagne.
Cette fois, le programme de construction de nouvelles lignes paraît bien lancé. Au grand dam de Corinne Lepage. "On va massacrer les Pyrénées pour permettre à EDF d'exporter son électricité nucléaire", a immédiatement réagi l'ancienne ministre de l'environnement de M. Juppé, qui est à l'origine du classement de la vallée du Louron en site protégé pour faire barrage à la THT.
A RTE, on préfère mettre l'accent sur "la sécurité de l'alimentation électrique" que sur les exportations françaises d'électricité. RTE fait également valoir que les nouvelles centrales à gaz espagnoles avaient pu dépanner le parc nucléaire défaillant de la France pendant la canicule du mois d'août: à quatre reprises, l'Espagne a fourni "plusieurs centaines de mégawatts" au réseau français, menacé de délestages. Une façon de souligner que les échanges d'électricité ne se font pas toujours à sens unique. Si les échanges s'effectuent à une écrasante majorité dans le sens France-Espagne, la balance devrait progressivement se rééquilibrer avec la mise en service d'un ambitieux programme espagnol de centrales à cogénération gaz, affirme Alain Hérault, responsable des interconnexions internationales de RTE.
Dans les Pyrénées-Orientales, les défenseurs de l'environnement redoutent d'être les premiers sacrifiés sur l'autel de la sécurité électrique européenne. En juin, plusieurs milliers de manifestants avaient défilé à Perpignan pour s'opposer au projet de ligne 400.000 volts entre Perpignan et Gérone par le col du Perthus. "Si la THT a atterri en Roussillon, c'est parce que les populations du val Louron, puis celles de l'Ariège se sont battues vaillamment pour leur environnement et ont réussi à mettre EDF et l'Etat en échec", rappelle Marc Maillet, le président de la fédération départementale des associations de protection de l'environnement. Le projet, dont le coût est estimé à 83 millions d'euros, est déjà bien avancé. Il a fait l'objet d'un débat public, sous l'égide de la Commission nationale du débat public, qui s'est achevé le 27 juin. Tous les élus du département se sont prononcés contre.
Dans un communiqué, RTE assure avoir pris bonne note de cette "forte opposition régionale" et évoque le lancement "d'études complémentaires" par rapport au projet initial. Mais le gestionnaire du réseau français ne veut plus renoncer à relier le poste de Baixas, à proximité de Perpignan, à celui de Bescano, dans la province de Gérone. La ligne doit rapidement porter à elle seule l'interconnexion franco-espagnole à 2.800 MW. Sera-t-elle partiellement ou totalement enterrée? Intégrée dans le futur tunnel ferroviaire de la liaison TGV Perpignan-Figueras? Immergée sous la Méditerranée?
A toutes ces alternatives, étudiées lors du débat public mais non retenues en raison de leur coût, RTE se contente de répondre qu'il n'y a "aucun tabou". L'entreprise promet surtout de montrer rapidement des "simulations numériques" de l'intégration de sa ligne dans le paysage catalan. La THT qui se dessine en Catalogne s'annonce comme un véritable laboratoire pour RTE, qui espère lancer sa deuxième ligne pyrénéenne "à l'horizon 2006-2007".
Source: Le Monde du 09.10.03