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Bruno Besche Commenge nous livre pour la coordination pyrénéenne ADDIP, une analyse de la partie concernant le loup du document de l’UICN sur la coexistence entre l’homme et le loup. Il semble que le loup soit toujours dans les Pyrénées et pourrait proliférer. Une connaissance de la situation s’impose.

Source: LIFE and human coexistence with large carnivores (LIFE et la cohabitation de l’homme avec les grands carnivores) Luxembourg: Publications Office of the European Union, 2013
Traduction: B. Besche-Commenge ASPAP/ADDIP

- Analyse

( voir partie 1, carte et traduction) B. Besche-Commenge ASPAP/ADDIP – Août 2013

Europe, monde, Alpes : des loups à géométrie variable

- 1) - L’Europe n’est pas toujours l’Europe!

Les cartes du document source précisent : «données de Biélorussie, Ukraine et Russie non prises en compte» (p. 38, note en bas à gauche – même indication pour l’ours, le loup, le lynx). Certes ces pays ne font pas partie de l’UE, mais les animaux sauvages ont un sens très limité des frontières, et des milliers d’entre eux circulent entre eux et l’UE.

En 2008 d’ailleurs la LCIE (Initiative en faveur des Grands Carnivores en Europe) publiait une brochure «Les grands carnivores ne connaissent pas de frontières» qui se concluait sur «la nécessité d’une coopération transfrontalière entre pays membres et non membres de l’UE.» (1) La carte publiée montrait bien comment Biélorussie, Ukraine et Russie sont en fait essentielles, ce dernier pays étant même le réservoir de présence permanente qui permet par exemple à la Finlande d’avoir chez elle une forte présence occasionnelle des loups, (zones vert clair) à côté de points d’habitats permanents que ce réservoir régénère de façon continue. Lien tout aussi constant avec l’ensemble des ex pays de l’Est, des états baltes à la Roumanie.

Ne plus en tenir compte en 2013, c’est raisonner administrativement une réalité d’ordre biologique, sur le même modèle que le nuage de Tchernobyl s’arrêtant lui aussi aux frontières!

Mais même cette carte est encore très insuffisante: elle ne retient que la frange russe la plus à l’Ouest (Mourmansk - St Pétersbourg), alors qu’en continue la population de loups occupe tout le territoire russe et au delà comme le montre la carte suivante, empruntée au site de la Liste Rouge de l’UICN.

L’ensemble appartient à l’une des huit écozones ou régions biogéographiques terrestres de notre planète: le paléarctique. Au centre de la Russie, la chaîne de l’Oural le partage en deux sous ensembles: l’oriental et l’occidental, mais les loups sont distribués en continu sur l’ensemble de la zone et au delà.
Rien à voir, pour prendre une autre extrême, avec le très rare Galemys pyrenaicus, le petit rat trompette, Desman des Pyrénées, pour lequel la même Liste Rouge présente une distribution … très différente!

A moins de confondre géopolitique des frontières administratives et biogéographie des espèces, ce que fait notre document source, on ne peut envisager la situation du loup en France, les moyens financiers et humains qui lui sont consacrés, sans tenir compte de cette réalité: aucune urgence n’oblige à radicaliser la position pour une espèce en aussi bonne santé dans l’écozone dont fait partie notre pays.

- 2) – Loups dans les Alpes, liste rouge des espèces menacées, et choix de préservation.

Il est très difficile de connaître le nombre mondial de loups. Mais en 2004, l’Union Internationale de la Nature (UICN, en anglais IUCN) publiait une «Enquête sur la statut et les Plans de Conservation» des divers canidés. L.D. Mech et L. Boitiani, ce dernier président de la LCIE, rédigeaient la partie consacrée au Canis Lupus (2). Pages 124 - 128, des chiffres sont indiqués pour chaque région ou état, à prendre avec prudence ne serait-ce que parce que dix ans se sont écoulés depuis ; ainsi, pour les Alpes, seulement 30 bêtes sont comptées, pour la Suède une centaine, un peu plus du double aujourd’hui (3).

Total mondial en 2004 : +/_ 230.000 loups. Dans les Alpes, les chiffres officiels actuels font état de +/_ 250 loups, c’est le chiffre porté sur la carte en partie 1. Ils représentent 0,11% de l’ensemble.

Ce % plus que faible pose un sérieux problème de cohérence quant à la liste rouge française des espèces menacées alors que l’UE elle-même ne classe pas le loup dans sa propre liste rouge (4).

L’UICN, dans ses directives pour l’établissement des listes rouges nationales, admet la possibilité que lorsque de telles sous populations représentent moins de 1% de l’espèce au niveau mondial, on puisse ne pas en tenir compte, ne pas même les mentionner : «Par exemple, une autorité pour la Liste rouge régionale peut décider qu’elle n’évaluera pas un taxon dont l’effectif dans la région (actuel ou au cours du siècle dernier) représente moins de 1 % de la population mondiale. Tous les filtres appliqués doivent être clairement décrits dans la documentation.» (5).

Il ne s’agit certes que d’une possibilité, mais la mention de ce % dans les publications nationales est par contre demandée à deux reprises dans ces directives, pages 5 et 23. La première référence en explique ainsi les raisons : « pour fixer les priorités de conservation /…/ il est important d’examiner non seulement les conditions qui règnent dans la région mais aussi le statut du taxon à l’échelle mondiale et la proportion de la population mondiale qui se trouve dans la région.» Et cela se comprend : même dans un contexte budgétaire plus souple qu’actuellement, finances et disponibilités ne sont pas extensibles.

L’UICN insiste sur cette dimension budgétaire, page 24 (36 du pdf) du document cité en note 4: «la disponibilité en financement et personnel, le ratio coût/efficacité» sont des facteurs devant guider «le choix des priorités /…/ il est important de considérer non seulement la situation régionale mais aussi le statut du taxon dans une perspective globale et la proportion de la population globale présente dans la région». Idée reprise à la fin: «Les décisions relatives à l'utilisation de ces trois variables, ainsi que d'autres facteurs, sont nécessaires pour établir les priorités de conservation.»

Or ce % n’est indiqué pour aucune espèce dans la liste rouge nationale (6). C’est bien un élément central qu’elle évacue alors, faussant totalement le diagnostic. Pour le politique qui finance, et là comme ailleurs doit juger de la pertinence des choix, demander et rendre des comptes à propos des dépenses, comment alors juger de ce «ratio coût/efficacité» dont l’UICN souligne l’importance?

Le loup est ainsi classé «Vulnérable (Vu)» page 8 du document pour les mammifères (7), et même si la colonne voisine indique qu’il est «LC» c’est à dire non menacé au niveau mondial, l’image donnée est tout à fait différente de celle qui prévaudrait si «0,11% de la population mondiale» était indiqué comme il le faudrait.

D’autres espèces et, plus largement, la protection des milieux dans leur globalité, relèvent d’une tout autre urgence. La biodiversité des micro-organismes des sols par exemple, fortement menacée, alors que repose sur elle tout le reste de la nature: sans eux pas de plantes ni de photosynthèse, sans les plantes pas d’herbivores, sans ces derniers pas de carnivores, sans parler de l’espèce humaine ... En 2010, Janez Potočnik, Commissaire européen pour l’environnement, écrivait à son propos: «la biodiversité des sols constitue un pan entier de la biodiversité mondiale trop souvent négligé.» (8). Et pour la France, l’Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME) indique clairement: «La diminution de la biodiversité des sols: une menace pour le futur.» (9).

- 3) – Conclusion: une Europe sous influence

Cette «négligence», pour reprendre Potočnik, est aussi le résultat de la facilité: au delà des problèmes indéniables et urgents, les mots «biodiversité» et «développement durable» sont devenus des lieux communs, formules rebattues. Comment en effet justifier rationnellement les millions d’euros - mesures d’indemnisations, aides à la protection qui s’avèrent de moins en moins efficaces - pour une population de loups qui ne représente qu’un si faible % de l’espèce?

En février 2004, la «Stratégie française pour la biodiversité» soulignait, page 16: «/…/ l’évolution des modes de vie qui affaiblissent les liens entre l’homme et la nature. Cet éloignement crée à l’inverse un intérêt pour la nature, mais la diversité du vivant reste une notion complexe, souvent mal appréhendée, au-delà de l’attachement à certaines espèces emblématiques (dauphin, baleine, ours…).» (10), il faut y ajouter le loup.

Effectivement, l’aspect emblématique et médiatique l’emporte sur la raison, sur une recherche d’efficacité et responsabilité qui devrait être le guide de l’action publique.

En «oubliant» ces pourcentages qui devraient pourtant orienter actions et financements, on perd la vision globale d’une planète dont, par ailleurs et en même temps, on souligne la nécessité d’avoir une vision globale sur ce qui la menace: «Selon le constat désormais établi par la communauté scientifique, notre planète traverse une crise majeure, alors même que l’on prend de plus en plus conscience que notre avenir est étroitement lié à celui de la biodiversité.» C’est, paradoxalement, la première phrase de «La Liste rouge des espèces menacées en France - Contexte, enjeux et démarche d’élaboration» (11).

Cette réduction est finalement la même que celle, dans notre document de référence, qui conduit à placer des frontières administratives et politiques sur la carte là où, par ailleurs et en même temps là aussi, on écrit: «Les grands carnivores ne connaissent pas de frontières». Ni les budgets, ni les efforts demandés, ni la biodiversité n’ont à gagner dans un tel marais de contradictions où l’accessoire l’emporte sur l’essentiel, le particulier (une espèce en très bonne santé) sur l’ensemble de «la diversité du vivant, /cette/ notion complexe».

Pourquoi le loup est-il alors objet d’une telle radicalisation dans les exigences européennes si contraignantes pour la France? J’y reviendrai, mais le lobbying très puissant de la LCIE (Large Carnivore Initiative for Europe = Initiative Grands Carnivores pour l’Europe) au niveau de l’UE est sans doute la clef qui l’explique. L’initiative a été lancée en 1995 par le WWF international dans le but de «Maintenir et restaurer, dans une coexistence avec les humains, des populations viables de grands carnivores en tant que parties intégrantes des écosystèmes et des paysages dans toute l’Europe.»

Mais la référence à la coexistence ne doit pas leurrer. En 2002 L. Boitani, président de la LCIE, écrivait: «à la base de toutes ces opérations de compromis doit veiller un sain principe de biologie de la conservation qui pose comme objectif non négociable la persistance d’une population viable de loups partout où il y a un habitat naturel adéquat. Cet objectif est posé de manière non équivoque dans la plupart des opinions publiques européennes et est inscrit dans la Directive Habitats. Sur ce point il ne peut y avoir de compromis.» (12).

Cet objectif, il concerne aussi ours, lynx et gloutons, a diffusé au niveau de l’UE avec une puissance dont ne dispose aucun autre élément de la biodiversité, même les plus effectivement menacés. Au point d’avoir réussi à ce que l’UE commande quasi systématiquement à la LCIE et son président Boitani, les expertises en la matière et l’animation de groupes de travail. Récemment encore, en janvier, lors de la réunion à Bruxelles organisée par la Commission Européenne à laquelle je représentais l’ADDIP, les documents de travail se présentaient ainsi:

«Ce document a été préparé avec l’aide de l’Istituto di Ecologia Applicata et avec les contributions de IUCN/SSC Large Carnivore Initiative for Europe (président: Luigi Boitani) sous contrat N°070307/2012/629085/SER/B3 de la Commission Européenne.» (13) (je traduis).

Ce qui revient à dire que le WWF et sa focalisation sur les grands carnivores à travers la LCIE ont réussi à imposer leur objectif à l’UE. D’autant plus facilement que dans les années 90 c’était par ailleurs pour la biodiversité le vide quasi total et, sauf rares exceptions, pas vraiment un problème de fond dans les préoccupations des états majors politiques.

Il n’existe pourtant toujours pas en 2013 de «Initiative européenne en faveur de la biodiversité des sols». Mais c’est moins médiatique et spectaculaire, même si bien plus grave et urgent à résoudre …

Auteur: B. Besche-Commenge ASPAP/ADDIP – Août 2013

(1) Large carnivores know no boundaries, LCIE, 2008. Citation: «to ensure that populations of large carnivores in Europe stay at favourable conservation status /…/ require transboundary cooperation between EU and non-EU countries.»

(2) Canids: Foxes, Wolves, Jackals and Dogs - 2004 Status Survey and Conservation Action Plan

(3) IUCN/LCIE, Status, management and distribution of large carnivores – bear, lynx, wolf & wolverine – in Europe – part 2, march 2013 - Suède = pp. 194 – 200.

(4) Temple, H.J. and Terry, A. (Compilers). 2007. The Status and Distribution of European Mammals. Published by the World Conservation Union (IUCN) in collaboration with the European Union. Pages 10, 21.

(5) UICN. (2012). Lignes directrices pour l’application des Critères de la Liste rouge de l’UICN aux niveaux régional et national: Version 4.0.

(6) UICN: La Liste rouge des espèces menacées en France

(7) UICN: La Liste rouge des Mammifères de France métropolitaine

(8) L’usine de la vie. Pourquoi la biodiversité des sols est-elle si importante?, Luxembourg: Offi ce des publications de l’Union européenne - 2010

(9) ADEME, «Menaces pesant sur les sols»

(10) Stratégie Nationale pour la Biodiversité - 2004

(11) Liste rouge des espèces menacées en France - Enjeux et démarche

(12) Préface à Chapron, G. & Moutou, F. 2002. L’étude et la conservation des carnivores. Société Française pour l’Etude et la Protection des Mammifères. Paris. 167 p.

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