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La transhumance des troupeaux en vallée d'Estaing dans les Pyrénées est, non seulement une tradition, mais aussi une nécessité pastorale. C'est une question de gestion de la nourriture du bétail mais aussi d'entretien du milieu naturel. Les brebis ressentent le besoin de partir vers des espaces de liberté après plusieurs mois d'hiver à l'intérieur.

- Comme chaque année, la transhumance en vallée d'Estaing se fait à pied

Les premiers troupeaux partent d'Arcizan -Dessus vers 9h. Ils passent à Bun vers 9h30 et rejoignent la route d'Estaing au Pont de Chauzas vers 10h. pour se rendre au village d'Estaing où ils sont regroupés les 1.400 brebis à partir de 11h.

Ce que nous appelons touristiquement la vallée d'Estaing en raison de son lac bien connu s'appelle en fait la "Bat de Bun" (en français, la vallée de Bun du nom du village que nous avons traversé)
Cette vallée a toujours eu un pastoralisme très actif. Il faut l'imaginer, dans le passé, sans route avec un chemin du type de celui qui a été emprunté entre Bun et le pont de Chauzas. Du pont jusqu'au village, vous pouvez remarquer les anciens moulins assez nombreux le long du gave ainsi que des granges foraines et des prairies de fauche.

En montant au lac il reste, visible sur la droite depuis la route, deux "laïté" (ou "hount" ou "cabanère") où était entreposé le lait dans un courant d'eau fraîche avant de le descendre vers le village ou la vallée. Chaque maison disposait d'un tel système aujourd'hui abandonné.

Tout ceci témoigne d'une grande activité pastorale qui ne date pas d'aujourd'hui tant le paysage a été façonné par l'homme.

D'autres preuves?

- L'histoire des villages.

Pour comprendre il faut remonter à la création du village d'Estaing en 1836. En effet, avant cette date, la commune actuelle était composée de 2 principaux hameaux, celui du Labat de Bun (rive droite du gave) et celui du Labat d'Aucun (rive gauche du gave). Ces terrains étaient attribués aux enfants cadets des familles, puis en 1836 Louis Philippe créera la commune d'Estaing au détriment des communes de Bun et Aucun.

Mais ces communes ont gardé leurs droits de pâture dans la vallée d'Estaing, c'est cette tradition que l'on célèbre lors de la fête de la Transhumance et qui continue à se perpétuer de nos jours.

Bun à seulement 800m d'altitude est une petite commune d'environ 280 ha après avoir été amputée en 1836 de 7153 ha qui ont formé la commune d'Estaing. En 1313 il y avait 19 feux soit une centaine d'habitants. En 1806, il y en avait 591 dont environ 450 à Estaing. En 1999, il y en a toujours 108.

Estaing est à 970m d'altitude et n'est commune que depuis 1836 où il y avait à cette époque 438 habitants. En 1999, il en reste 67. Il y avait donc, par le passé, même encore relativement récent, une présence humaine très importante toute l'année.

Aujourd'hui, l'activité, la vie ne sont plus les mêmes mais les traditions restent et sont reprises par les jeunes éleveurs qui partent, comme leurs parents, grands parents et bien avant encore, vers les estives d'été. Pourquoi et comment?

Après le repas, c'est l'heure des discours avec le témoignage de Pascal Bouryrie devant la caméra de France 3, victime de la perte de 27 brebis début mai, lecture du message de soutien de l'ASPAP par Marie Lise Broueilh, Présidente de l'ASPP 65intervention du représentant de la Chambre d'Agriculture, témoignage d'un jeune qui vient de s'installer, soutien de Marc Léo, conseiller général du canton, discours de Pierre Gerbet représentant les éleveurs de la vallée.

Nous pouvions également noter la présence Chantal Robin-Rodrigo (PRG), députée de la circonscription, d'André Pujo (PS), son suppléant et Président de l'association des maires du canton d'Argelès et Ginette Curbet, suppléante de Gérard Trémège (UMP) et élue à la Chambre d'Agriculture venus soutenir l'action des éleveurs opposés à l'introduction d'ours dans les Pyrénées

La bénédiction des troupeaux, en priant pour que l'ours ne vienne pas les décimer, un dernier chant à la Vierge et c'est de nouveau le départ vers le lac d'Estaing, Arriousec et le Grand Barbat

L'arrivée à la cabane d'Arriousec et enfin la liberté et les vacances pour les moutons qui ont passés une partie de l'hiver à l'intérieur.

La vallée est bien verte. L'herbe a poussé. Il y a à manger jusqu'en septembre ou octobre.

Cette vallée où passe le GR 10 mais qui est avant tout et depuis des millénaires, la continuité d'une exploitation agricole.

Cette transhumance a été effectuée le 2 juin 2007

Textes et photos Louis Dollo

- Informations diverses

- Pourquoi le pastoralisme? La transhumance, une nécessité économique

La transhumance est une coutume vitale aux exploitations agricoles de montagne car en conduisant leurs troupeaux vers les estives, les éleveurs libèrent les prairies pour la récolte des fourrages. L'estive, c'est le prolongement de l'exploitation agricole.

Dans les Pyrénées depuis plus de 3.500 ans, l'homme et la nature se sont associés pour fonder une terre de pastoralisme; la viabilité économique d'un grand nombre d'exploitations agricoles de montagne dépend du maintien de pratiques pastorales.

Le pastoralisme a une double dimension d'activité économique en terme de production et d'activité environnementale en terme d'entretien de l'espace montagnard.

La diminution du nombre d'animaux ou une descente précoce des troupeaux ont des conséquences économiques sur l'exploitation et provoque des changements sur la végétation à long terme.

La présence d'ours remet en cause le système agropastoral pyrénéen.
Desservie par des conditions naturelles et économiques spécifiques, les éleveurs de montagne ne peuvent pas modifier leur fonctionnement.

Erwan Guyetand - Eleveur à Bun

- Comment se pratique le pastoralisme? Le pastoralisme est une tradition

Nos élevages de montagne sont rythmés par les saisons.

L'hiver, de la mi-octobre à la mi-avril, nos troupeaux restent en bergerie avec une alimentation de fourrages récoltés durant l'été.

Au printemps, au réveil de la végétation, les troupeaux pâturent dans les prairies de nos exploitations. Progressivement, les bêtes partent dans les zones intermédiaires, 800 à 1.200m d'altitude libérant ainsi les prairies pour la fauche. Elles deviennent peu à peu autonomes mais l'éleveur garde toujours un oeil sur elles, assurant ainsi les soins nécessaires en cas de blessures ou de maladies.

A l'arrivée de l'été, les troupeaux transhument pour 3 mois dans les estives de haute montagne qui sont gérées collectivement.
Avant le départ, chaque éleveur prend soin d'identifier chacune des bêtes de son troupeau par une même marque de couleur, ce qui facilite le repérage à distance. De même les cloches qui sont mises au cou des brebis et vaches, par leur tonalité, permettent à l'éleveur d'identifier son troupeau les jours où le brouillard a recouvert la montagne. Ces cloches facilitent aussi la reconnaissance et le regroupement des brebis qui aiment bien se retrouver entre elles par petits groupes.
Ce système pastoral bien rôdé depuis des siècles permet une conduite des troupeaux en toute liberté au bénéfice de leur alimentation ; Elles choisissant les meilleures pâtures, et ont de très bonnes croissances
Durant cette période estivale, l'éleveur, tout en veillant au bien être de son troupeau, assure également la fenaison et la récolte des fourrages sur les prairies situées autour de l'exploitation, afin de constituer la réserve alimentaire pour l'hiver.

A l'arrivée de l'automne, avec les jours qui raccourcissent, les risques de chutes de neige, et l'épuisement des fourrages de la montagne, les éleveurs redescendent le troupeau dans les zones intermédiaires. Les bêtes devant mettre bas descendent alors dans les prairies proches de la bergerie, afin de faciliter le suivi des agnelages.
A l'entrée de l'hiver, dès les premiers jours de froid, la totalité des troupeaux rentre en bergerie

Ce système d'élevage de plein air fonctionne très bien. Ceux qui introduisent de gros carnivores comme l'ours veulent condamner cette conduite des troupeaux transhumants. L'ours, lors de ses attaques, dévore nos brebis, provoque avortements, fractures de membres. Il traumatise nos troupeaux entraînant leur dépérissement et le refus, les jours suivants ainsi que l'année suivante, de rester dans la zone où ils ont été attaqués.

Ces espaces ne doivent pas être abandonnés par nos troupeaux car l'exploitation de ces pâtures est vitale pour la survie de chacun de nos élevages. Il existe un équilibre entre l'homme, l'animal et la montagne mais cet équilibre très fragile ne pourra tenir que si nous éleveurs nous poursuivons la transhumance pour reconstruire chaque année les pelouses et les paysages de nos montagnes.

Joël Habas - Eleveur

- La nécessité du pastoralisme pour la conservation d'une biodiversité!

La présence de nos troupeaux de vaches de brebis et de chevaux dans les estives permet le maintien de belles pelouses, composées d'un grand nombre de plantes fourragères riches et odorantes recherchées par nos animaux

Ces prairies de montagne attirent de nombreux oiseaux comme le coq de bruyère et des petits mammifères, car les excréments des animaux deviennent en quelques jours des réservoirs vivants de vers de terre. Tous trouvent là une nourriture abondante qui leur permet d'élever de bonnes nichées

Ces pelouses sont des espaces ouverts pour les randonneurs, des espaces faciles à surveiller pour les oiseaux qui auront le temps de fuir à l'approche de tout prédateur

Nos troupeaux, en pacageant aussi les bordures des forets, empêchent l'envahissement des pelouses par les épineux et les arbustes qui tendent à fermer le milieu aux troupeaux et aux promeneurs.
Sans nos troupeaux les grandes herbes prennent le dessus, prolifèrent et étouffent de nombreuses espèces fourragères. L'hiver ces grandes herbes se couchent et rendent la zone avalancheuse.

Nos troupeaux sont donc indispensables pour entretenir les zones escarpées proches des stations de ski. C'est le moyen le plus sûr de lutter contre les risques d'avalanches et rendre le domaine skiable plus sûr.

Le passage fréquent des troupeaux permet d'entretenir les sentiers que nous utilisons et qui sont indispensables pour accéder mêmes aux terrains les plus escarpés.
Enfin le pastoralisme est le moyen le plus écologique et économique pour éviter les friches tant en montagne qu'autour de nos villages et lutter contre les risques d'incendies.

Mais cet équilibre est très fragile:

L'introduction de gros carnivores qui attaquent nos troupeaux pour s'en nourrir tuent nos brebis et vaches et engendre de très graves perturbations dans la conduite du troupeau et dans la gestion de cet espace. Cela met en péril le maintien de la transhumance.
Les plus grands scientifiques considèrent ces pratiques pastorales millénaires comme des facteurs qui génèrent cette biodiversité et nous, éleveurs, nous préservons et nous continuons à reconstruire chaque année, par la transhumance de nos troupeaux, ce qui fait la richesse de notre patrimoine montagnard.

Si ces carnivores chassent et détruisent nos troupeaux, nos montagnes perdront alors leur richesse, leur attrait et tout intérêt pour les éleveurs et pour les promeneurs de la montagne.

Bertrand Gerbet

- Le bien être animal

Nos vaches et nos brebis sont des animaux adaptés à la montagne et qui sentent l'appel de la haute montagne dés les premiers jours de mai.. Si l'éleveur n'est pas vigilant elles quittent les pâturages des exploitations et s'engagent à toute occasion sur les chemins habituels de la transhumance.

En montagne nos troupeaux retrouvent leur quartier d'été et leurs déplacements sont commandés par leur instinct. Ils choisissent les plantes dont leur organisme a besoin après les longs mois d'hiver en bergerie. Ce sont les plantes les plus riches en matières minérales

Nos troupeaux transhument au rythme des saisons mais aussi des heures de la journée.
Ils pâturent à la fraîche matin et soir. Ils recherchent les endroits frais pour les heures chaudes.

Les brebis choisissent les mamelons ou les crêtes comme aires de repos pour les belles nuits étoilées autant pour en jouir que pour garder un oeil vigilant sur tout prédateur. L'éleveur, suit l'activité de son troupeau en respectant son rythme pour apporter les soins dont il a besoin durant toute la période estivale.

Mais les ours friands de brebis, par leurs attaques cruelles mettent en péril la vie de nos troupeaux. Leur présence provoque un stress profond de nos troupeaux qui perturbe durablement leur comportement: Ils se dispersent, s'éloignent, fuient vers des endroits périlleux. Le berger doit alors passer beaucoup de temps pour retrouver son troupeau et l'aider à regagner son quartier et à s'y refixer.

Un seul fauve peut détruire cet équilibre montagnard et le bien être de nos troupeaux.

Didier Gele - Eleveur

- Message de soutien de l'ASPAP

L'ASPAP aux côtés de l'ASPP 65 et des éleveurs du Val d'Azun.

Nous tenons à vous dire à tous combien nous sommes désolés de ne pouvoir être parmi vous en ce grand jour de transhumance. Vallée du Biros et du Pays Massatois en Ariège, Val d'Azun ... dans de nombreuses vallées des Pyrénées, nous sommes nombreux à "amontagner" ou à accompagner la transhumance aujourd'hui.

Au moment où chez vous hommes et troupeaux quitteront les villages et les vallées, les hommes et les bêtes d'ici entameront aussi leur marche vers l'estive. D'un même pas, unis et solidaires sous le ciel des Pyrénées, nous vivrons ensemble cette montée particulière cette année, reliés par ce fil invisible de gravité et de dignité devant toute ces difficultés que la présence de l'ours nous oblige à supporter.

Une fois arrivés, comme vous, nous prendrons la parole, celle qu'on a voulu nous prendre, et que nous nous sommes réappropriés. Pour expliquer, encore, sans relâche.

Expliquer que l'ours n'est pas une espèce menacée. Que l'importation d'ours n'a aucune justification écologique. Que la cohabitation ours/troupeaux est impossible, 10 ans d'immenses efforts d'adaptation l'ont prouvé. Que la vraie écologie se vit et se fait ici chaque jour, sur ces estives, par des éleveurs qui ont choisi des modes de productions durables, respectueux de l'environnement et du consommateur.

Comme vous, nous parlerons fort, et notre voix montera du ruisseau vers les versants, jusqu'aux crêtes. Pour que chacun comprenne que ce paysage autour de nous est l'oeuvre du travail des hommes tout autant que celui de la nature. Que la biodiversité que certains veulent nous apprendre à gérer depuis Paris ou Toulouse, est ici préservée et remarquable. Que c'est le pastoralisme et lui seul qui entretient cet espace ouvert et praticable pour tous les usagers de la montagne, chasseurs, pêcheurs, randonneurs.

Aujourd'hui les attaques de l'ours, demain celles encore plus dévastatrices du loup, qui a commencé sa colonisation silencieuse de notre chaîne, signent l'arrêt de mort des pratiques pastorales traditionnelles. Au lieu de restaurer une biodiversité Pyrénéenne qui n'en avait pas besoin, le retour incontrôlé des grands prédateurs conduit au contraire à la faire reculer définitivement, par l'embroussaillement puis l'ensauvagement des espaces désertés par les troupeaux.

Pastoralisme, paysages, économie, culture et traditions séculaires de nos montagnes: nous tous qui vivons et travaillons dans ces montagnes Pyrénéennes, vous tous qui nous avez rejoints le temps de cette journée, avons la responsabilité commune de sauvegarder ce patrimoine et le transmettre aux générations futures.

Il appartient à chacun de nous, des vallées d'Ariège au Val d'Azun, du Béarn au Luchonnais, de redescendre ce soir l'écho de la transhumance. D'une même voix, chacun portera autour de lui son attachement au modèle pastoral pyrénéen et le refus de voir les troupeaux dévorés par l'ours; le refus de l'ensauvagement des massifs ; le refus devant le gaspillage des fonds publics; le refus des risques que la présence de l'ours fait peser sur les populations.

Les sonnailles de nos montagnes vont résonner bien au delà des estives et des vallées, partout où nous défendrons et ferons valoir notre vision commune d'avenir pour les Pyrénées vivantes et préservées, sécurisées, riches de biodiversité, accueillantes, support d'activité et d'emploi.

Nous vous saluons très amicalement au nom de tous les adhérents de l'ASPAP.

- La transhumance en vallée d'Estaing maintenue malgré les attaques de l'ours

Les éleveurs de la vallée d'Estaing, dans les Hautes-Pyrénées, où l'ours a récemment tué une vingtaine de moutons, ont respecté la tradition de la transhumance qu'ils ont entamée samedi à partir du val d'Azun, a constaté un correspondant de l'AFP.

Plusieurs centaines de personnes ont pris à part à cette manifestation traditionnelle au départ du village d'Estaing, non loin d'Argelès-Gazost, et ont accompagné plus de 1.400 brebis en direction des estives situées au-dessus du lac dominant la bourgade.

La fête de la transhumance a été plus sobre que les années précédentes, ont remarqué les éleveurs, qui ont tenu à exprimer leur colère face à "la présence de l'ours qui remet en causse le système agro-pastoral pyrénéen", a déclaré Pierre Gerbet, président du Sivom de Labat-de-Bun, qui s'est fait leur porte-parole.

"Desservis par des conditions naturelles et économiques spécifiques, les éleveurs de montagne ne peuvent pas modifier leur fonctionnement. Les espaces ne doivent pas être abandonnés par les troupeaux car l'exploitation de ces pâtures est vitale pour la survie des élevages", a-t-il insisté.

Pour lui, "il existe un équilibre très fragile entre l'homme, l'animal et la montagne qui ne pourra tenir que si les éleveurs poursuivent la transhumance pour reconstruire chaque année les pelouses et les paysages des montagnes". "La surveillance mise en place par les services de l'Etat n'empêchera pas les attaques", a conclu M. Gerbet, qui demande que les éleveurs soient "informés en temps réel sur les déplacements de l'ours".

Courant mai, 25 moutons ont été victimes de l'attaque d'un ours, ont été découverts dans le val d'Azun, en limite des Hautes-Pyrénées et des Pyrénées-Atlantiques.

Source: Le Monde du 2 juin 2007