Ils ne veulent pas mettre de puce électronique à l’oreille de leurs moutons. Pourtant c’est une obligation venue, une fois encore, de la technocratie de Bruxelles. Cette origine de l’Union Européenne est sans doute un des motifs non avoué du refus de pucer les bêtes. Une forme de résistance à la technocratie européenne? «Ils ne vont pas nous apprendre notre métier»….
Et pourtant, la puce électronique peut faciliter les contrôles et la traçabilité du produit. Les contrôles…. Un refus légitime d’être en permanence sous surveillance. Mais pas contre la traçabilité… La puce «encore un gadget» des fonctionnaires européens. Et il faut faciliter et améliorer la traçabilité des produits… Toute la problématique est d’allier la liberté du berger, une liberté qui est dans ses gènes… et la garantie sanitaire des produits… Difficile!
La solution est peut-être aussi dans le développement des circuits courts et de la vente directe. Mais cela n’est pas suffisant puisque la France ne produit que 40% de ses besoins en viande de mouton. Il est donc indispensable de savoir ce qui vient de chez nous et ce qui vient d’ailleurs. Mais le problème reste entier au niveau du consommateur. L’étiquetage est incomplet comme l’exprime Xavier Beulin, Président de la FNSEA, au micro de France Info le 19 février 2013.
Bande Annonce "Mouton 2.0 - La puce à l'oreille"
Synaps Collectif Audiovisuel
Pour mieux tracer viandes et produits laitiers, et limiter les crises sanitaires, l’Union européenne impose désormais une puce électronique pour les animaux d’élevage. Cette puce «RFID» sera obligatoire pour les chèvres et les moutons d’ici juillet 2013. Les petits éleveurs protestent. Ils voient dans ce marquage du vivant un moyen d’industrialiser toujours plus les pratiques, et lui préfèrent la relocalisation de la production, les circuits courts et le tatouage, infalsifiable. Pendant que scandales et fraudes entachent l’industrie agroalimentaire et ses multiples intermédiaires, ces éleveurs risquent d’être lourdement sanctionnés. Reportage dans la Drôme lors d’une transhumance contestataire.
«Nos brebis ont déjà une boucle avec un numéro à chaque oreille. On nous bassine avec la traçabilité en nous obligeant maintenant à les identifier avec une puce électronique. C’est pas les brebis qu’ils veulent tracer, ce sont les éleveurs!», s’emporte Ingrid Louis. Éleveuse de brebis dans la Drôme, elle est soumise à l’obligation d’identifier électroniquement les animaux qui naissent sur son exploitation depuis juillet 2010. Une obligation qui sera étendue aux ovins et caprins adultes à partir de juillet 2013 [1].
A quelques pas d’Ingrid, Laure Charoin arbore fièrement un T-shirt «ni pucé, ni soumis». Membre du collectif des éleveurs de la Drôme, elle co-organise la «transhumance festive» de Mornans (Drôme) à Valence. «Vu qu’on ne nous écoute pas, on fait du bruit», lâche l’éleveuse de brebis laitières. Elle partage avec les autres éleveurs de profondes inquiétudes «sur l’avenir d’une société qui puce de plus en plus largement les êtres vivants et qui ne voit de salut que dans toujours plus de technologie».
Initiée en 2005 à l’échelle européenne [2], la réforme de l’identification et de la traçabilité des moutons et des chèvres a officiellement pour but «d’améliorer la gestion des crises sanitaires liées aux maladies animales». Par quels moyens? Avec les identificateurs électroniques, savamment nommés transpondeurs, mais mieux connus sous le nom de puces RFID (Radio Frequency IDentification). Les cartes de transport comme le pass Navigo ou les passeports biométriques, sont déjà équipés de ces puces. Accrocher une puce RFID à l’oreille des moutons et des chèvres permettrait une gestion informatisée des troupeaux, considère la Direction générale de l’Alimentation, qui y voit un moyen de limiter les risques sanitaires.
Une fois enregistrées dans les lecteurs de puces, les informations sont envoyées aux différents établissements départementaux de l’élevage, qui gèrent les bases de données et l’identification des animaux. «Mais qui donc a tant besoin de cette traçabilité, de cette rapidité? interroge une militante, Sylvette Escazaux. Les petits éleveurs? Non, c’est l’industrie qui a besoin d’aller toujours plus vite, de suivre son produit à la trace... Car l’industrie n’élève plus d’animaux: elle gère des produits.» L’affaire de la viande de cheval vendue comme du bœuf à l’industrie agroalimentaire ne peut que leur donner raison: la traçabilité n’a pas fait défaut, mais l’absence de contrôle par les firmes et la multiplication des intermédiaires, sous-traitants et traders de matières agricoles. [Ndr: Voir interview de Xavier Beulin, Président de la FNSEA]
«On avance des raisons sanitaires comme celle de retrouver la descendance, relève Jean-Louis Meurot, éleveur de brebis laitières. Mais cette guerre aux microbes se révèle être une guerre au monde vivant, alors que les épidémies relèvent de faits exceptionnels. On conditionne nos vies à des crises épisodiques.» Pour le collectif des éleveurs de la Drôme, «c’est l’intensification des productions, des échanges internationaux et l’industrialisation qui engendrent les risques sanitaires, et non les élevages extensifs». «C’est la localisation de la production qui améliorera les capacités de suivi et la qualité, et non un gadget high tech!» lâche une éleveuse.
La plupart des participants à la transhumance confient ne pas être devenus berger ou éleveur pour travailler derrière un écran, ni pour suivre les procédures standard concoctées par des «experts». «On vise à tout centraliser dans des banques de données mais la vie ne doit pas se laisser enfermer dans des fichiers d’ordinateur. On travaille beaucoup à partir de connaissances empiriques ou intuitives, insiste Jean-Louis. Que l’on ne nous impose pas des façons de faire contraires à la manière de voir notre métier!» Ils craignent de devenir des sous-traitants de l’industrie de la viande et de perdre toute autonomie.
«Améliorer la traçabilité via une boucle plastique, qu’elle soit électronique ou non, ne change rien», estime Laure. Elle tient déjà un carnet d’agnelage dans lequel elle note le numéro de boucle de l’agneau, son sexe, sa date de naissance, la mortalité et le numéro de la mère. Un double de ce carnet est envoyé à l’établissement départemental de l’élevage. «95 % des abattoirs n’ont pas de lecteurs de puces, ils continuent de noter à la main», souligne t-elle.
Faciliter les conditions de travail des éleveurs est l’autre argument avancé par le ministère de l’Agriculture. «Cela a peut-être un intérêt pour les gros élevages mais pas pour les petits troupeaux», nuance Cécile, qui élève une soixantaine de chèvres. Suite à un contrôle en 2010, elle a été obligée d’identifier électroniquement son troupeau. «Nous ne sommes pas équipés en lecteur de puces, on continue donc à noter manuellement.» Elle juge cette obligation «complètement absurde» alors que le système actuel d’identification – une boucle classique à chaque oreille – assure une traçabilité amplement suffisante.
S’il faut davantage renforcer la traçabilité, les éleveurs préconisent le tatouage, infalsifiable, contrairement à la puce RFID qui peut facilement être «grillée si elle est soumise à une forte variation de champ magnétique» souligne la Confédération paysanne de PACA. «Pour soigner, sélectionner et identifier nos animaux d’élevage, nous demandons simplement à ce que soit respectée notre liberté d’en choisir les moyens, du moment qu’ils sont fiables et éprouvés depuis longtemps», résume Cécile.
Pour le moment, la Direction départementale de la protection des populations (l’ancienne Direction des services vétérinaires) n’a laissé aucun choix à Etienne Mabille. En avril 2012, un représentant de l’Agence des services et de paiement est passé chez lui et a relevé qu’une quarantaine de brebis étaient «hors circuit». Comprenez: sans puce électronique. La sanction n’a pas tardé: perte de la prime ovine (18 à 20 euros par bête), laquelle entraîne d’autres suppressions d’aides financières (primes «agriculture de montagne», «maintien en agriculture biologique», «aides sur la production fourragère»). Soit environ 8 000 euros sur 12.000 euros perçus habituellement. Etienne a fait une demande de suspension de ces décisions auprès du Tribunal administratif de Grenoble. La demande a été rejetée. Le jugement sur le fond aura lieu dans quelques mois. Il n’a pourtant jamais trompé personne sur l’origine de sa viande ou de son lait...
Le cas d’Etienne Mabille a poussé nombre d’éleveurs à réagir, à l’instar d’Yvan Delage. «Même si on s’assoit sur l’aspect économique en refusant les aides agricoles, nos animaux sont considérés comme des matériaux à risque car ils ne sont pas identifiés électroniquement. Quand les abattoirs auront la consigne de ne plus prendre nos animaux, que va-t-on faire?» En guise de réponse, le préfet de la Drôme s’est fendu d’un communiqué à la presse rappelant que «tout contrevenant s’expose à des sanctions administratives et pénales» et notamment à des amendes de «150 à 450 euros par animal». De quoi fragiliser encore plus les nombreux élevages déjà en situation précaire. Industrie agroalimentaire et traders de produits agricoles, eux, se portent à merveille.
L’État subventionne jusqu’en juillet 2013 l’achat de puces électroniques à hauteur de 70 centimes sur un euro d’achat. Ensuite, les éleveurs paieront l’identification «plein pot» alors que les boucles classiques avoisinent les 0,20 centimes d’euros. Un surcoût auquel il faut ajouter l’achat du lecteur de puces, de l’ordinateur et du logiciel. Alors, pourquoi mettre en place un outil plus cher qui n’apporte, selon ses détracteurs, rien de plus en terme de traçabilité?
Vincent Delmas, éleveur et porte-parole de la Confédération paysanne de la Drôme, esquisse un début de réponse: «Aujourd’hui, une boucle électronique, c’est 1 euro pour chacune des 7,5 millions de brebis et chacun des 7,5 millions d’agneaux qui naissent environ chaque année. Je vous laisse faire le calcul...». Dès 2007, la Commission européenne estimait dans une note sur les RFID «que le marché européen pourrait passer de 500 millions d’euros en 2006 à 7 milliards d’euros en 2016». En 2012, il se serait vendu près de 4 milliards de puces RFID dans le monde, contre 3 milliards en 2011.
Autre problème: rien n’a été prévu pour la collecte et le recyclage des boucles électroniques. Fabriquée à partir de silicium, d’argent, de plastique et de cuivre, la puce RFID n’est même pas soumise à la taxe écoemballage, relève Etienne Mabille. Une étude, rapportée par l’association Pièces et Main d’Oeuvre, a mesuré les ingrédients nécessaires à la fabrication d’une puce de 2 grammes. Total: 1,7 kg d’énergie fossile, 1m3 d’azote, 72 grammes de produits chimiques et 32 litres d’eau. «Par comparaison, il faut 1,5 tonne d’énergie fossile pour construire une voiture de 750 kg. Soit un ratio de 2 pour 1, alors qu’il est de 630 pour 1 pour la puce», souligne l’association.
Une partie des éleveurs a aussi des doutes sur l’innocuité du bouclage électronique. «Boucles plus lourdes et plus serrées, risque d’arthrite augmenté, sensibilité aux champs électriques. Cela nous semble contraire à l’attention portée au bien-être animal», écrit le collectif. A défaut de recul sur la nocivité ou non de ces puces, les éleveurs s’estiment «en droit de refuser d’infliger la pose d’un appareillage électronique à cinq centimètres des cerveaux de nos animaux, tout au long de leur existence».
«L’élevage a toujours été un excellent laboratoire pour faire ce que l’on fera ensuite sur les hommes», redoute Yvan Delage. Le collectif des éleveurs drômois a rédigé une motion qui a reçu le soutien de 70 communes. Ils sollicitent une rencontre avec le ministre de l’Agriculture pour demander la levée de l’obligation de cette identification électronique. Certains pays européens comme l’Autriche, l’Angleterre et l’Irlande ont refusé les puces et conservé les moyens d’identification traditionnels, comme les boucles et les tatouages.
En France, plusieurs collectifs contre le puçage électronique des élevages se sont créés, en Ariège, dans la Drôme et dans le Tarn et Garonne. Ils refusent que la conduite de leurs vies et de leurs élevages soit soumise à des systèmes automatisés. Des sociétés où la confiance envers les éleveurs est remplacée par les lecteurs de puces RFID. «Nous n’avons pas besoin de machines, mais d’humanité» écrit à ce sujet le collectif Pièces et mains d’oeuvres. Etienne Mabille assure: «La puce électronique n’est pas un sujet d’élevage, c’est un sujet de société».
Texte et photos: Sophie Chapelle
Source: Bastamag du 12 février 2013
Notes
[1] C’est déjà le cas pour les chevaux depuis 2008, et les bovins ne devraient bientôt plus y échapper.
[2] Voir le règlement (CE) n°21/2004. La réglementation européenne traduite en droit français par l’arrêté ministériel du 19 décembre 2005 «impose aux éleveurs ovins et caprins l’obligation d’identifier leurs animaux nés à partir du 1er janvier 2010, au moyen d’une puce électronique individuelle» et Décret n° 2011-2088 du 30 décembre 2011 relatif à l'agrément des repères destinés à l'identification des animaux des espèces bovine, ovine, caprine, porcine et équine