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La montagne n’est pas faite que d’activités sportives et de loisirs. Bien avant randonneurs et alpinistes existaient les bergers, activité qui a évolué avec le temps mais dont les fondements sont toujours les mêmes depuis plus de 2000 ans. Si les contemplatifs peuvent admirer un loup et être fascinés par sa présence et son observation en liberté, dans ce qu’on appelle, peut-être à tort, un milieu naturel, les professionnels millénaires des montagnes en subissent toujours les mêmes conséquences dans les mêmes conditions.

La notion de naturel n’a plus le même sens selon que nous le vivons au quotidien ou de manière occasionnelle et récréative et les conditions de vie ces travailleurs de la montagne qui l’entretiennent vivante et attractive n’ont aucune commune mesure avec celles d’un ouvrier d’usine ou un employé quelconque.

- La nature, le naturel c’est quoi?

C’est bien toute la difficulté de compréhension. Les multiples définitions données au mot «nature» ou «naturel» permettent à chacun d’y trouver son compte. Mais si la «nature» est quelque chose de figé, sans additif extérieur d’origine humaine, un «ensemble de la réalité matérielle considérée comme indépendante de l'activité et de l'histoire humaines» http://www.cnrtl.fr/definition/nature, là c’est raté en France. Peu de chance de trouver un espace où l’homme ne l’a pas marqué de son emprunte. Il n’existe pas d’espaces vierges, sauvages depuis plusieurs milliers d’années. Il faut donc compter sur la présence de l’homme et de ses activités. Les nier ou imaginer que des espaces en soit exclus est totalement inconcevable, inimaginable pour envisager la présence de grands prédateurs comme le loup ou l’ours.

C’est la raison pour laquelle, depuis 30 ans pour l’ours, 20 ans pour le loup, on crée de manière totalement surréaliste un concept d’espaces sauvages pour entretenir une espèce auto-déclarée, par les organisations écologistes, d’emblématique et en situation de vulnérabilité et de risque fort de disparition. Concept autant mensonger qu’idéologique et sectaire (Cf. Polémique autour de l’UICN ). On parle aussi de «cohabitation». Concept tout aussi surréaliste car, sauf dans quelques littératures et contes enfantins, cette notion reste au niveau de l’imaginaire mais n’est jamais vécue de manière réelle. Après 20 à 30 ans de volonté idéologique, le constat est là: c’est impossible. Mais faut-il encore que les décideurs l’observent, le comprennent et l’admettent.

- La situation actuelle inquiétante

Chaque cas d’attaque de loup ou d’ours est souvent un drame pour l’éleveur. On oublie qu’il est une victime. Pire encore, on le responsabilise, on l’accuse d’être un mauvais berger, de ne pas faire correctement son travail. Pas étonnant que nous en arrivions à voir un éleveur qui «pète les plombs» comme ce fut le cas en 2012 à l’égard de gardes du parc national du Mercantour et à d’autres occasions dans les Pyrénées.
Comment ne pas réagir et s’inquiéter face à des statistiques de prédations de loups désespérantes dans les Alpes. Une hausse des attaques de 20 % et des victimes de plus de 10 %, sans compter, bien sûr, le nombre de bêtes disparues et invérifiables qui s’accroît notamment pour les six départements de Provence-Alpes-Côte d’Azur: 4115 bêtes tuées pour un total national de 5.455 (données provisoires).

Comment ne pas s’inquiéter lorsque, en 2012, dans la seule la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, une cinquantaine d’éleveurs ont subi plus de 10 attaques de loups en une seule année… une quinzaine plus de 20 attaques… quatre plus de 50 attaques, le «record» étant de 110 attaques dans l’année. (1) Et parmi ses 50 éleveurs, 44 se trouvent dans les Alpes-Maritimes et la zone adjacente du Var. Des régions totalement abandonnées aux loups. Est-ce normal?

Que dire face à ce chiffre impressionnant de 2161 pertes en 2012 dans les Alpes-Maritimes? Près de la moitié des prédations françaises. Comment imaginer que cette situation soit sans conséquences sur les hommes qui vivent dans ces montagnes?
Les mesures de prévention (2) n’y peuvent rien.

De multiples attaques gagnent maintenant les collines provençales, le Luberon, la Sainte-Victoire, la Sainte-Baume, etc… Elles touchent les parcours boisés utilisés en hiver où l’animal prédaté, généralement une jeune bête vigoureuse, pas une traînarde, est rarement retrouvé, ou alors après le passage des charognards ne permettant aucun constat objectif entrainant l’indemnisation. Un éleveur des Alpes-Maritimes qui transhume pratiquement 9 mois de l’année sur 3 alpages différents nous disait: «J’ai l’impression que les loups suivent le troupeau. Gardé ou non, avec ou sans clôture, jour ou nuit, ils attaquent quand ils veulent. Et on ne peut rien faire». Rien faire, c’est bien le drame. Ils ne peuvent que regarder le travail des loups, voir leurs bêtes massacrées, pas forcément mangées, dans des conditions les plus effroyables qui n’ont rien à envier à un abattoir. Pendant ce temps, une actrice retraitée se lamente sur l’avenir de deux éléphants en menaçant de se réfugier en Russie, là où existe officiellement la chasse aux loups. Elle et son organisation ne s’inquiètent pas du sort des brebis égorgées, blessées, mourantes dans les pires conditions. «Cette bonne femme me dégoûte» disait cet éleveur. Et cette situation n’est pas unique. Nous la retrouvons au fil des diverses discussions et réalisation de diagnostics de vulnérabilité.
C’est le cas d’un Groupement Pastoral des Alpes-Maritimes qui, en 2003, a subi un dérochement suite à une attaque de loup entrainant la mort de 298 brebis un jour de brouillard. Sur ce même alpage, les relevés des attaques montrent qu’elles ont lieu tout au long de la saison. L’éleveur indique que depuis la mise en place des moyens de protection, les attaques ont lieu de jour la plupart du temps. Observation qui se généralise.

A titre d’exemple, un élevage des Alpes-Maritimes, qui souhaite conserver l’anonymat, a un troupeau de 1.300 mères et 500 tardons de juin à novembre. Cet alpage dispose de 6 chiens de protection, d’un gardiennage permanent au plus près du troupeau par un éleveur-berger expérimenté, d’un aide-berger, de 3 cabanes, de 5 parcs clôturés. Les attaques sur ce troupeau sont régulières. De 2004 à 2011, il a subi chaque année de 2 à 18 attaques reconnues avec 17 à 117 victimes. Situation irrégulière d’une année à l’autre mais non liée aux mesures de protection toujours rigoureusement en place.

Dans d’autres secteurs des Alpes, notamment dans le nord, il semble que le problème soit parfois réglé discrètement et efficacement. Un élu d’une commune qui a subi de nombreuses prédations il y a quelques années nous répondait: «Vous remarquerez que maintenant nous ne voyons plus de loups et il n’y a plus de prédations». Le reste de la conversation ne faisait aucun doute sur la méthode employée. Dans le fond, les anciens employaient la même. Est-ce que ce serait LA solution?

- Quelle solution?

Il apparait que les mesures de protection sont inefficaces. Ce n’est pas un jugement de valeur, c’est un constat objectif. Clôture, parcage, chiens, bergers, n’y font rien. Les prédations croissent chaque année. Difficile de dire le contraire. Et le loup se développe de plus en plus dans d’autres régions. Du côté des associations de protection de la nature, on ne veut pas y croire. On évoque des attaques de chiens malgré les constats de l’ONCFS et des gardes des parcs nationaux. On préconise plus de chiens, de bergers et des clôtures plus élevées. C’est ce qui se fait depuis 20 ans. Sans succès. Alors que faire?

Ce qui est étonnant, c’est qu’il n’est jamais fait allusion aux échecs de ces procédures en Italie comme en Espagne notamment dans les Asturies. Il n’est jamais expliqué que la conséquence de la présence du loup c’est la disparition des bergers et des troupeaux. C’est en fait le but avoué de certaines organisations écologistes: rendre la nature sauvage.

En France, après 20 ans de protection dure du loup et de sa prolifération importante, nous en sommes au stade de la multiplication des réunions, concertations et consultations, de la réflexion pour un nouveau plan loup qui ne va pas dans le sens de l’apaisement. Deux ministères et un président de Groupe National Loup qui ne répondent pas à nos questions. Une procédure qui ne semble pas conforme au code de l’environnement et à la récente loi sur l’information du public, au fonctionnement d’une structure n’ayant aucun fondement juridique.

Dans un tel contexte, impossible de répondre à cette question: «Quelle solution?». Mais à défaut de réponse officielle, certains éleveurs pourraient bien passer à des actions plus concrètes déjà évoquées. Ont-ils tort? N’est-ce pas pour eux une question de survie?

- Et les hommes dans tout ça?

Lorsqu’on parle de grands prédateurs, on parle plus de la protection des bêtes sauvages, ours et loup, que des hommes et leurs troupeaux. Manifestement, le bien-être animal et humain n’est pas fait pour eux. Priorité au sauvage! Est-ce acceptable? Quel salarié, quel chef d’entreprise accepterait la destruction de de son outil de travail au profit d’un animal sauvage? Une perte de rémunération? Une perte de dignité? De vivre en permanence dans le stress… accroitre ses heures de travail et d‘effort sans contrepartie…?

La MSA (Mutualité Sociale Agricole) a bien compris la situation et a pris des mesures sociales et psychologiques en faveur des éleveurs. Dans une vidéo, ceux-ci expriment clairement leur situation sans haine, sans excès. Mais c’est bien de la santé des éleveurs dont il est question. La situation actuelle est-elle durable? Peu probable.

Au-delà du travail, de la santé, de la perte économique et de vie sociale c’est aussi une perte de biodiversité cultivée par l’homme et ses bêtes. Ce sont eux qui sont la clé et les garants de la protection de toute la chaine écologique. Ce sont eux qui évitent les incendies, les avalanches, la fermeture des paysages pour offrir une diversité paysagère propice au tourisme source d’une autre filière économique et sociale.
En montagne, l’homme et ses bêtes sont la base de toute vie depuis plusieurs millénaires. Le vrai problème est peut-être que nous l’avons oublié au profit de la seule bête sauvage.

Louis Dollo, le 29 janvier 2013

(1) Source DREAL Rhône-Alpes, donnés provisoires 2012, nombre total de constats réalisés ; le décompte définitif ne devrait pas être très différent.

(2) Mesures de prévention financées dans le cadre du dispositif 323 C du PDRH - Dispositif intégré en faveur du pastoralisme – qui ne couvrent qu’une partie (70 à 80%) des charges d’investissement et totalement insuffisante pour les aides bergers où il en faudrait 4 pour un poste (35h par semaine pour un salarié) alors qu’il n’est financé que partiellement un seul emploi présent jour un nuit.

A lire:

Le Loupet le Stress du Bétail