De part et d'autre des Alpes, le grand prédateur ne suscite pas les mêmes réactions. Dans le Piémont, des vétérinaires assistent les bergers
Ils sont environ six cents dans toute l'Italie et une petite cinquantaine dans le seul Parco Naturale delli Alpi Maritimi (Piémont), c'est-à-dire autant que derrière la montagne, côté français, au coeur du parc du Mercantour. Les bergers italiens, certes, n'apprécient pas plus le loup que leurs homologues transalpins. Mais, ici, la menace est appréhendée de tout autre manière: «Le sujet est moins politique chez nous, note Patrizia Rossi, directrice du parc piémontais. Il est traité de façon plus pragmatique.» /p>
Comme en France, des aides ont été proposées pour la protection des troupeaux: aide berger, chiens patous, filets pour les couchades (lieux de rassemblement pour la nuit). La différence essentielle tient dans le dialogue qui a été instauré avec les bergers: «Une mission de médiation a été confiée aux vétérinaires. Ils constatent les dégâts, soignent les brebis et apportent un soutien psychologique aux éleveurs. Les bergers, conseillés, ont rapidement accepté d'adapter leur mode de travail.»
C'est le cas d'Aldo Macario, installé à Sant'Anna Valdieri, non loin de Cuneo. Il finit de couper les foins à deux champs de ses brebis. La maison qui abrite la famille n'est pas loin. «Avant, dans la montagne, on laissait le troupeau seul la nuit. Maintenant, il faut le veiller sans cesse. Alors, on fait comment pour voir les enfants, traire les brebis? Contre le loup on ne peut rien. J'ai préféré garder les moutons un peu plus bas et changer ma façon de travailler.» L'homme ne regrette pas cette évolution et le loup, au fond, ne le dérange pas vraiment.
En France, c'est cette remise en cause de la conduite de l'élevage en montagne qui pose problème. Les bergers la refusent et réclament plus que jamais l'éradication du prédateur arrivé en 1992 et dont la population est actuellement en pleine phase d'explosion. Dans le pays de Forcalquier, au coeur des Alpes-de-Haute-Provence, les huit cents brebis d'Alain et Gilbert Bernard ne quittent plus la plaine. «J'ai arrêté l'alpage à cause du loup, explique Alain, je vais pas me tuer tout l'hiver pour me faire bouffer mes bêtes l'été. C'est s ûr, il y a les primes, et le loup, il les paye très bien les brebis. Mais le loup paye ce que l'homme voit. Ce que l'homme ne voit pas, le stress du berger et des bêtes, ça, il ne le paye pas. Le symbole d'une nature sauvage, qu'ils disent! Ce n'est qu'une saloperie, le loup. Il attaque en lâche, la nuit, les jours de brouillard, quand on a le dos tourné…»
«Les anciens ne l'ont pas tué pour rien, lance Yves Feydy, éleveur dans le sud de la Drôme, énumérant les derniers villages, qui, là-haut, vont disparaître. La fin des champs fauchés, des genêts coupés, des lavandes en fleur et des sonnailles. A l'unisson, les éleveurs français ne demandent qu'une chose: le droit de défendre leurs troupeaux.
Benoît Lamort, directeur du parc Alpha, le parc des loups de Saint-Martin-Vésubie (Alpes-Maritimes), constate la longueur d'avance des Italiens. Ainsi, les indemnités octroyées pour «les dents du loup» ne sont versées que si l'éleveur met en place un dispositif efficace pour protéger son troupeau. La saison prochaine, une «prime positive» sera offerte, en sus, pour «bonne conduite» dans les alpages. La situation française laisse pessimiste le directeur du parc: «En offrant des primes pour les dommages, nous avons choisi la facilité. Le facteur humain a été totalement négligé. Le conflit avec les éleveurs se durcit, les attaques augmentent, le budget d'indemnisation est annoncé à la baisse. Un arrêté vient d'autoriser l'abattage de six loups mais c'est une blague de faire croire que cela va réguler la population.»
Car le loup n'est pas prêt de disparaître. «Il permet le maintien de la biodiversité, assure Véronique Luddeni, vétérinaire dans le parc du Mercantour. Il tue les bêtes vieilles et malades, limite les pathologies infectieuses et améliore la génétique des espèces. Le mouflon corse, introduit ici dans les années 70, était une aberration de la nature. Il est le premier animal qui a été attaqué par le prédateur.»
En France, le loup n'a pas été réintroduit. «Il est arrivé tout seul. C'est un phénomène naturel de colonisation, dit Patrizia Rossi. La preuve en a été donnée par celui qui, équipé d'un radio collier émetteur, a quitté Parme, traversé la plaine du Pô, et rejoint les Alpes-Maritimes il y a deux ans.»
Des informations scientifiques qui se perdent immanquablement dans les brouillards des pâturages, le soir, au fond des cabanes, tandis que le berger perçoit au loin le hurlement tant redouté.
Auteur: Sophie Latil
Source: le Figaro du 26 juin 2006
Observation:
Cela semble concerner peu d’éleveurs comparé aux Pyrénées. Et puis le fait de conserver les brebis à proximité des habitations relève sans doute plus des possibilités de gestion de
l’herbe que de volonté de l’éleveur.
Dans l’article il n’est pas pris en compte la dimension «entretien de la diversité des paysages» et maintien de la biodiversité lié à l’existence des alpages qui, de ce fait, vont
passer du statut «découvert» au statut de «couvert».