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Juillet 2013, les prédations font rage dans toute la France, notamment dans les Alpes du Sud. Dans les Vosges, certains saluent avec satisfaction, d’autres constatent les dégâts du loup revenu depuis 2011. Un rapide coup d’œil sur un moteur de recherche et nous découvrons que le loup était présent dans les Vosges en décembre 1994. Juste deux ans après l’arrivée officielle en fanfare dans le Mercantour et 5 ans avant les Pyrénées. Et personne n’y fait allusion. Tout le monde semble avoir oublié. Pourtant, à cette époque, la FDSEA était bien plus virulente qu’aujourd’hui. Pourquoi? Il faut dire qu’en 1994, pas moins de 82 animaux avaient péri sous les crocs sans précipitation d’indemnisation…

Mais bien avant encore, la bête des Vosges avait fait parler d'elle dès 1975....

- Le loup des Vosges exaspère les agriculteurs

Le loup des Vosges n'amuse plus les agriculteurs. La bête a fait trop de dégâts dans les troupeaux. Selon les responsables de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles), 82 animaux ont péri sous les crocs du loup depuis le mois de mai: 2 poulains, 3 génisses, 2 béliers, 55 brebis et 21 agneaux. Le préjudice est évalué à 100.000 francs et aucun éleveur n'a encore été indemnisé.

La FDSEA avait fixé au 15 décembre l'ultimatum pour que les pouvoirs publics trouvent une solution d'indemnisation. Au-delà de cette date, la Fédération paysanne annonce que ses membres vont passer à l'action. Quel type d'action? «Nous préviendrons le moment venu», disent les responsables de la FDSEA, qui envisagent plusieurs manières de faire parler d'eux. Soit une campagne d'affichage, soit une occupation pacifique de la préfecture ou une battue.

La neige qui tombe depuis quelques jours sur le massif vosgien pourrait permettre de localiser l'animal plus facilement. Depuis l'été, le loup est resté dans un secteur restreint, voyageant entre les communes de Senonges, Dommartin-lès-Valois, Monthureux-le-Sec et Thuillières. Il a été aperçu encore récemment par plusieurs personnes. Mais tous les stratagèmes mis en place par le capitaine de louveterie n'ont pas permis, jusqu'ici, de le capturer. Et la bête continue de se nourrir aux dépens des éleveurs.

Auteur: Roger Trinca
Source: Libération du 17 décembre 1994

- Un cadavre de loup découvert dans les Vosges

- Un cadavre de loup découvert dans les Vosges

La découverte, mardi, du cadavre d'un loup abattu par balles à la mi-novembre 1994, dans la région de Vittel relance la polémique sur la réintroduction clandestine d'animaux sauvages dans les Vosges. Mardi matin, une cassette vidéo a été déposée discrètement dans la boîte aux lettres de l'Est républicain, à Epinal. Le film montre la carcasse d'un animal qui ressemble fort à un loup. Un appel anonyme révélait l'emplacement exact où se trouvait la dépouille, enterrée en bordure d'une forêt au sud de Vittel. Tué d'une balle dans le flanc gauche, l'animal est bien un loup. Le cadavre doit être envoyé au Museum d'histoire naturelle à Paris. Cependant, cette bête ne peut être celle qui défraie la chronique, depuis qu'elle a été filmée en juin 1994. D'abord parce que le pelage des deux animaux n'est pas le même. Ensuite parce que «le loup des Vosges» a commis d'autres forfaits après la date supposée de la mort de son congénère.

Au total, 81 moutons et pouliches ont été tuées par le loup, un préjudice évalué par les agriculteurs à quelque 100.000 francs. Des traces de pas d'un loup relevées dans la neige, près du lieu de la découverte du cadavre, donnent à penser qu'il y a bien plusieurs loups dans la région, et qu'il pourrait s'agir d'une réintroduction clandestine d'animaux sauvages.

Auteur: Roger Trinca
Source: Libération du 26 janvier 1995

- Un piège à loup nommé Rosebud

- Pas fou, le loup des Vosges a ignoré Rosebud, la belle femelle captive, et poursuivi ses méfaits. Puis il est mort sans avoir murmuré son nom.

Elle a le poil en bataille, l'oeil étiré d'une geisha, l'air las et indifférent de celles à qui on ne la fait pas. On l'a baptisée "Rosebud", comme dans "Citizen Kane". C'est que cette louve canadienne de 5 ans, née au parc zoologique d'Amnéville, dans les Vosges, en aurait des secrets à livrer... Si les loups savaient parler, Rosebud raconterait son épopée d'il y a quelques mois comme l'une des dernières folies de l'homme auxquelles il lui ait été donné d'assister.

Le loup n'aime pas l'homme. Pas même pour le croquer. Il le flaire à 5 kilomètres et sait que de ce bipède arpentant la forêt il n'a rien d'autre à attendre qu'un jet de flèches, un coup d'escopette ou une traque haletante à travers champs et futaies. Le message a circulé de loup en loup, depuis le jour où l'homme s'est mis debout. C'est peut-être pour cela qu'en septembre 1994 Rosebud a fait la bête, dès qu'on l'a encagée pour la transbahuter dans une camionnette et la planter dans une lointaine prairie. Pourquoi? Pour appâter un autre loup qui semait la panique dans de grasses pâtures et des forêts giboyeuses, entre Vittel et Epinal. Tableau de chasse: 55 brebis, 21 agneaux, 2 veaux, 2 pouliches, 1 génisse et 1 bélier, tués ou abattus après avoir été blessés: le fameux loup des Vosges qui a tenu la France en haleine pendant sept mois.

Dans le coin, on en avait vu d'autres, et des pas commodes, des loups, divaguant au gré de leur faim. Le dernier, en 1977, avait été baptisé "la Bête des Vosges". Qui voyait le bout de son museau avait alors ordre de tirer immédiatement. L'animal avait fait courir des bataillons de chasseurs qui n'avaient pas réussi à lui trouer la peau. Et il était sans doute mort de sa belle mort, au fond d'un trou.

Mais jamais encore aucune louve n'avait été sommée par la République de faire de l'oeil, six jours de rang, à un Canis lupus errant, pour le contraindre à se jeter, tout vivant, dans un piège de trappeur canadien. C'est que, depuis l'affaire de "la bête", l'Europe avait conféré au canidé le titre d'espèce protégée. On peut désormais capturer un loup, mais pas le tuer. Alors, depuis juin 1994, début des méfaits du loup - 13 brebis tuées ou blessées chez François Barlerin, éleveur à Dommartin-lès-Vallois - jusqu'en décembre, les Vosges lupophobes expérimentèrent à peu près tout. Et même Rosebud... Le loup était arrivé d'on ne sait où, au printemps. Les éleveurs ne s'étaient pas inquiétés pour quelques moutons mordus sur le pré: souvent les chiens - ceux des voisins, bien sûr! - leur plantent les crocs dans le gras pour s'amuser, puis, énervés par le sang, s'emportent parfois jusqu'au massacre. Les assurances pourvoient aux dégâts. Un jour de mai, pourtant, Jocelyne Boukine, 44 ans, le vit. Chasseuse émérite, institutrice-secrétaire de mairie à Senonges, présidente de la Fédération Vosges environnement (Feve), elle observait les animaux à la jumelle, en compagnie de son mari, du haut d'un mirador de pleine forêt. Une femme sensée ne croit pas au loup. "Si je l'avais dit, on m'aurait mise à l'asile!" explique-t-elle aujourd'hui. Elle n'en parla donc pas. Jusqu'au jour où, d'une voix embarrassée, Serge Merour, 49 ans, lui dit: "J'ai filmé une drôle de bête au Caméscope.... heu... on dirait un loup..." On ne pouvait pas soupçonner ce garçon sérieux, employé à l'usine d'eau de Vittel - intarissable sur le sujet du goût comparé des eaux minérales - de boire contre son intérêt.

C'était bel et bien le même animal. "Il devait être 22 heures, le 1er juin. J'étais caché derrière des broussailles, à 2 mètres de lui, avec le vent contre moi. Il ne m'a pas senti", raconte-t-il en en tremblant encore. Depuis vingt ans, il photographie les sangliers, sa passion. On prévint d'abord Gérard Mathieu, lieutenant de louveterie. En temps normal, cet homme de 48 ans, coiffeur à Vittel, héritier d'une charge créée par Charlemagne pour protéger l'homme des attaques des loups, gère les populations de gibier et règle les dégâts occasionnés par celui-ci aux agriculteurs. C'est donc lui qui, renouant inopinément avec la tradition, avertit la préfecture de l'incroyable histoire. On le croit, et les battues, pour "localiser et identifier l'animal", commencent. On le piste à la Sherlock Holmes. Pour connaître ses habitudes alimentaires, on recueille ses excréments. Au menu: marcassins, petits faons, rongeurs, renards, chevreuils, comme en témoignent les poils qu'on y retrouve. Pour mieux le traquer, on sème aussi des cadavres de gibier. Serge Baptiste-Leyval, 58 ans, garde en chef de l'Office national de la chasse, l'aperçoit fréquemment. "Il n'était pas apeuré", témoigne-t-il. Jusqu'au jour où il passe à l'attaque. "Regardez, un vrai carnage...", dit-il, en montrant ses photos de brebis éventrées collées dans un album.

Du coup, on utilise les grands moyens. Juchés sur des bottes de paille empilées sur des tracteurs, gardes et chasseurs se relaient, nuit et jour, pour apercevoir la bête, qui, la chaleur et la prudence venant, passe ses journées terrée dans les maïs. C'est l'été et, la lenteur administrative aidant, aucune autorisation de capture n'arrive. Gérard Mathieu demande qu'on procure à sa troupe des jumelles à infra-rouge. Les gendarmes acceptent, à condition de venir se joindre aux civils. "Trop de monde", grogne Mathieu, qui en a déjà par-dessus la tête des foules touristiques et journalistiques. Quand Serge Baptiste-Leyval aperçoit le loup, à 10 mètres, le 4 août, il ne peut rien faire: l'autorisation ne sera délivrée que le lendemain. La nuit suivante, le loup retourne dîner dans le pré des Barlerin. On pose des pièges, on multiplie les rondes. Rien n'y fait. Jocelyne Boukine a une idée: l'attirer avec des cris de loup. Le zoo d'Amnéville fournit un enregistrement. En fond sonore, on entend le puissant vent canadien... Pas fou, le loup passe son chemin.

C'est à la mi-septembre qu'on sort la botte secrète: Rosebud. La louve du zoo, exposée au milieu d'une zone piégée dans le champ Barlerin, est requise pour l'opération charme... Mais la belle mange et dort sans désemparer. Pendant plus de cent heures, aucun hurlement ne franchira sa gueule mordorée! Un matin, on relèvera bien l'empreinte des pattes du loup, mais à 150 mètres de l'enclos. Et les brebis continuent de tomber. Le loup est devenu un pro: il saigne les animaux au cou et part avec une épaule dans la gueule. Au cours de quatre attaques chez Michel Ferry, à Esley, il tuera chaque fois deux bêtes. Les éleveurs trépignent: la plupart ne sont pas assurés et personne ne veut les dédommager. Le ministère de l'Environnement se dit incompétent; le préfet, sans budget (il en a trouvé un depuis). Le 3 janvier dernier, un syndicat agricole, la FDSEA, porte plainte contre X pour "actes de cruauté perpétrés contre des animaux", sous couvert d' "expériences ou recherches scientifiques sur les animaux". Rosebud, qui n'a pas trahi les siens, retourne, elle, dans ses foyers.

Que croyez-vous qu'il arriva? "Mon confrère le loup s'arrêta!" triomphe Jean Knopf, avocat du syndicat. "Confrère", car, selon lui, le loup était un animal apprivoisé, relâché par son maître, avisé du droit... Le 24 janvier, une cassette vidéo déposée à l'agence d'Epinal du quotidien "L'Est républicain" montrait l'animal, tué d'une balle tirée par l'arrière. On a retrouvé son corps un peu plus tard. Sa mort remonterait au mois de novembre 1994. "Ce n'est pas le bon, grommelle Serge Baptiste-Leyval. Il y avait deux loups. Celui-là n'était pas de la même couleur. Et puis, les dégâts ont continué jusqu'en décembre." L'autre aurait été abattu, plus discrètement. "Balivernes! contredit Gérard Mathieu. Il n'y en avait qu'un. Et il est bien mort. Si les chasseurs l'ont fait savoir, c'est pour ne pas passer pour des idiots, comme en 1977!"

Un loup? Deux loups? Un expert, Pierre Hirel, qui s'occupe des loups du parc de Sainte-Croix, en Moselle, confirme: "L'animal filmé vivant et celui que j'ai vu mort sont les mêmes: le dessin du poil sur la tête, leur??carte d'identité'', est identique." Pour lui, l'histoire est finie. Aujourd'hui, dans son parc, on joue une courte piéce destinée aux enfants et aux parents, qui met en scène "Le Procès du loup", comme autrefois. Le verdict du public est toujours le même: non coupable! Pierre Hirel, inconsolable, répète: "Je demande pardon aux loups du mal que les hommes leur ont fait." Dans sa cage, Rosebud, l'indifférente, n'a pas dit qu'elle accepterait les excuses.

Auteur: Stein Sylviane
Source: L'Espress du 13/07/1995