Face aux conséquences du loup, il se produit un fait tout à fait nouveau et inattendu. Des chercheurs, ethnologues et anthropologues pour l’essentiel mais aussi des scientifiques, un photographe expriment la nécessité pour les éleveurs des Causses et des Cévennes de pouvoir effectuer des tirs de défense contre le loup. Ils motivent leur position dans une lettre ouverte que nous diffusons ci-dessous.
Les éleveurs de brebis ont façonné les paysages ouverts des Causses et des Cévennes (monts Lozère et Aigoual) depuis le néolithique. La transhumance y remonte à plus de 4.000 ans
selon les archéologues. En outre, l’élevage des troupeaux conduits par des bergers sur les pâtures a favorisé une faune et une flore exceptionnelles. Cette symbiose des éleveurs et
du territoire a été reconnue en juin 2011 par l’Unesco, en inscrivant "Les paysages culturels de l'agropastoralisme des Causses et les Cévennes" dans la
liste du patrimoine mondial de l'UNESCO.
Or cet été, les attaques de loups se multiplient sur les troupeaux, mettant en péril une activité millénaire et toute l’économie locale. Les loups ont toujours rôdé autour des
troupeaux, ce n’est pas une nouveauté. Ce qui est nouveau, par contre, c’est l’interdiction faite aux éleveurs de défendre leurs bêtes. Le prédateur est intelligent: il se sert
sans crainte de jour dans les troupeaux de brebis, proies tellement plus faciles à attraper qu’un animal sauvage.
Devant la catastrophe annoncée, une poignée de chercheurs en accord avec les éleveurs, dont certains se sont impliqués dans la reconnaissance par l’Unesco de ce patrimoine mondial,
demandent que les pouvoirs publics accordent aux éleveurs le droit de faire des tirs de défense y compris dans le parc national des Cévennes.
Depuis leur arrivée à la mi-juin sur les estives du mont Lozère, les éleveurs d’ovins transhumants voient leurs troupeaux victimes d’attaques répétées d’un ou de plusieurs loups. Le poids de cette menace permanente est matériellement et psychologiquement insoutenable pour ces éleveurs et bergers. Si les pertes en nombre d’animaux restent à ce jour limitées – pour combien de temps? – c’est au prix d’une surveillance renforcée du troupeau, de jour comme de nuit, par tous les temps. Dans ce contexte, certains envisagent d’abandonner les estives du mont Lozère à plus ou moins court terme, voire dès cet été.
Plus largement, si rien n’est entrepris pour y mettre un terme, l’installation des loups affectera le pastoralisme tant sur les territoires d’estives (mont Lozère, massif de l’Aigoual, hautes Cévennes…), que sur les espaces essentiellement valorisés par des élevages sédentaires (Causses de Sauveterre, Méjan, Noir, Larzac et autres Causses méridionaux). Les dispositifs préconisés pour la protection des troupeaux (parcs électrifiés, patous, aides-bergers…) présentent l’inconvénient majeur d’être coûteux et d’une efficacité limitée: le constat s’impose dans les Alpes, en dépit des efforts des éleveurs et bergers, depuis 15 ans pour certains. Quant à l’effarouchement, il n’aboutit qu’à déplacer le danger vers d’autres bassins d’élevage proches et à déranger la faune locale. À brève échéance, c’est donc toute une région de moyenne montagne où l’existence même de l’activité pastorale en système extensif, déjà fragile, sera mise en cause.
Mais les cessations prématurées d’activité, l’abandon de projets de reprises d’exploitations et de troupeaux par de jeunes bergers auront des conséquences bien plus importantes. En effet, le maintien d’élevages autonomes, respectueux de l’environnement et supports de production de viande et de fromages de qualité, est conditionné par ces modes de valorisation pastorale. Au-delà de la perte d’emplois et d’habitants, la ruine de ces activités d’élevage signifierait l’échec de la politique de développement et d’accueil de la région.
Car cet élevage ovin séculaire, emblématique des Cévennes et des Causses, a mobilisé depuis des décennies des investissements humains et financiers à tous les niveaux des collectivités territoriales (départements, régions, État et jusqu’à l’Union européenne), des organismes professionnels, le Parc national des Cévennes, ainsi que de nombreux chercheurs scientifiques. Tous ces acteurs, et en premier lieu les éleveurs et bergers, ont permis de sauvegarder une activité pastorale essentielle au maintien d’espaces ouverts où sont reconnus aujourd’hui des habitats naturels et des espèces remarquables.
C’est pourquoi, face à l'urgence de la situation et dans l’état actuel des techniques de contrôle des prédateurs, les signataires (solidaires à divers titres, professionnel
ou personnel, des éleveurs et bergers) attirent l’attention sur l’incompatibilité entre la présence permanente d’une population de loups et l’exercice d’un pastoralisme extensif,
sédentaire ou transhumant, acteur fondamental du maintien et de l’évolution des "paysages culturels de l’agropastoralisme des Causses et Cévennes", tels qu’ils ont été consacrés
comme éléments du patrimoine
mondial par l’UNESCO en juin 2011.
Relayant l’avis des éleveurs transhumants, ils demandent aux pouvoirs publics d’autoriser des tirs de défense en cas d’attaque des troupeaux, y compris en zone cœur du Parc national
des Cévennes, parc habité où des actions de chasse sont pratiquées. En cela ils sont en accord avec la demande faite aux ministres concernés (Écologie et Agriculture), dans un
courrier du 11 juillet 2014, par le Préfet de la Lozère et le Président du Conseil d’administration du Parc national des Cévennes.